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(Chapitre 2) The Huntmaster
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The Huntmaster


La frénésie meurtrière et vengeresse de Morgan c'est calmée. Brusquement, comme un cauchemar dont on se réveillerait en sursaut. Il n'était plus qu'une bête assoiffée de sang, rongée par la colère et le désir brûlant de voir son ancien compagnon de voile crever, non, souffrir! Souffrir de ses propres mains, souffrir comme Adam a souffert par sa faute. Il ne pourra jamais lui faire subir ne serait-ce que la moitié des horreurs qu'a encaissé le Quartier-maître, mais il pouvait au moins lui donner un avant-gout de la douleur. Il aurait fait durer ce massacre, ô oui il l'aurait fait durer jusqu'à ce que Thomas le supplie de l'achever! Non il n'en tirait aucun plaisir, non ça ne soulageait pas sa conscience d'avoir été impuissant alors que son meilleur ami se faisait torturer sous ses yeux, et même s'il était en train d'accomplir sa vengeance... le Capitaine maudit ne s'en sentait ni apaisé, ni grandit. Et tout aurait pu se finir si vite. Peut-être bien que le maître des lieux aurait fini par succomber au lynchage et que Morgan aurait continué à frapper, frapper et frapper encore le cadavre inerte et défiguré de Thomas pendant des heures sans même se rendre compte qu'il avait fini par le tuer... Et il aurait continué à perdre du temps. Ce temps si précieux et dont le Second entre la vie et la mort ne dispose plus à volonté.

Alors oui, c'est probablement la question du Capitaine du Bloody Mary qui aura fini par faire reprendre conscience à Morgan, c'est peut-être indirectement lui qui vient de lui ouvrir les yeux sur son comportement puéril. S'il avait vraiment voulu tuer Thomas, le ruffian aurait pu lui loger une balle entre les deux yeux, rapide et efficace, mais l'immortel ne pensait pas à en finir rapidement pour retourner porter secourt à Adam... il ne pensait qu'à lui faire du mal. L'espace d'une seconde, Morgan n'était pas mieux que le bourreau de son meilleur ami. Réduit au même niveau que lui. Un monstre sans cœur ni pitié. Mais alors qu'est-ce qui a arrêté le poing du forban qui s'apprêtait à enfoncer un peu plus les os du crâne de sa victime? Qu'est ce qui l'a soudainement ramené à lui? La question en elle-même qui lui a rappelé que ce "lui" n'est autre que son presque frère entrain de l'attendre dans un cachot?! Le visage mutilé et défiguré de Thomas? Sa voix chevrotante et entrecoupée de sanglots? Ou une prise de conscience foudroyante de ne pas valoir mieux que l'homme qu'il déteste le plus au monde à l'heure actuelle? Quelle importance...

Les paroles de Morgan sont calmes et sincères, qui pourrait croire qu'il était en train de tabasser son vieil ami quelques secondes plus tôt? Pour la première fois depuis qu'il se sont retrouvés, le leader du Black Sails se confie avec son cœur et non avec ce sentiment de rage et de mépris qu'il a commencé à éprouver dès le moment ou Samoth était devenu Thomas. Il se surprend même à envisager les éventualités, à remettre en doute des paroles qu'il avait lui-même réfuté. Peut-être bien que personne n'a tort et que personne n'a raison. Peut-être bien que dans cette histoire ils sont tous les deux les responsables d'une part du présent. Le forban a également du mal à croire qu'il parvient à se montrer aussi compatissant et doux avec ce fou dangereux, ses doigts embrassent la forme de sa tête par-dessus les tresses plaquée et cette étreinte est presque un geste tendre, Thomas et lui n'ont jamais été physiquement aussi proches, et s'il le voulait, Morgan pourrait lui briser le cou d'un geste vif. Mais il ne le fait pas. Et cette même main glisse le long de la nuque du pirate jusque sur ses omoplates et se retrouve à pendre à nouveau dans le vide quand l'immortel se redresse et envisage son ancien compagnon avec un dédain tout particulier. Il ne lui laisse même pas le temps de s'interroger sur la chance qu'il a puisqu'en effet... Morgan a oublié son idée de lui ôter la vie. S'il doit le faire un jour, ce ne sera pas comme ça. Pas de cette façon. Thomas sombre dans l'inconscience et le Capitaine maudit se presse vers la cellule d'Adam avec l'angoisse exacerbée de se retrouver devant un corps sans vie lorsqu'il poussera la porte.

Le ruffian se défait rapidement des gardes et explose ni plus ni moins la serrure de la porte, manquant de la défoncer lorsqu'il pénètre à l'intérieur de la salle de torture pour hurler à son ami qu'il est revenu comme promis. Un soulagement indescriptible le pousse à soupirer alors qu'il envisage le sourire épuisé du Quartier-maître qui lui répond avec sa verve naturelle et Morgan échappe un rire nerveux et incontrôlé qui tient plus du sanglot refoulé que du rire.

- Désolé d'avoir été aussi long... j'ai dus régler un... contretemps sur le chemin du retour. Mais je suis là maintenant.

Le sourire de l'immortel s'efface alors qu'il constate qu'Adam ne le regarde pas vraiment dans les yeux... ses iris azur rougis, les veines de ses globes explosées. Il hoche lentement la tête, une main venant se loger contre ses lèvres en détaillant l'état lamentable dans lequel se trouve son meilleur ami. Plus que jamais, le Capitaine se sent pris d'inconsolables remords et il lui tourne un peu autour avant de s'accroupir à ses côtés, faisant courir son regard le long de son torse couvert de sang et de brûlures, son tatouage détruit et remplacé par la justice aveugle qui boursoufle sa peau. Il n'y a pas un centimètre carré d'épidèrme qui soit resté indemne, même ses jambes qui sont pourtant toujours recouverte par son pantalon font peine à voir, les genoux brisés qui paralyse ses jambes, ses pieds nus dont l'un est encore miraculeusement recouvert du bandage qui couvrait le trou laissé par la balle qu'il avait reçu plus tôt. Morgan est tout bonnement horrifié. Il voudrait lui prendre la main, mais celles-ci sont peut-être la partie de son corps dans le pire état et cette vision apocalyptique de ses doigts déformés et pire que tout de son majeur gauche arraché le dégoûte. L'espace d'un instant, il a presque l'impression de sentir un indicible haut le cœur le prendre à la gorge et un nouveau sanglot forcé s'échappe de ses lèvres.

- Pardonnes-moi Adam... Si j'avais pu me libérer je... Sa voix tremble et parce qu'il a déjà suffisamment perdu la face aujourd'hui, Morgan s'efforce de reprendre sur un ton plus assuré. Je vais te sortir de là... et quand on rejoindra le Black Sails Stephen te soigneras...

Oui, il veut y croire, il veut croire que tout redeviendra comme avant, que son meilleur ami se remettra de ses horribles blessures et qu'ils pourront reprendre l'aventure ensemble. Le pirate maudit passe délicatement sa main dépourvue de chaleur le long de la joue de son ami et le regarde un instant avant de détourner la tête en tous sens. Il y a tout un tas d'objets dans cette pièce, mais il va falloir trouver celui qui lui permettra de briser les chaines qui emprisonnent les poignets du Second. Tout lui semble beaucoup trop fragile quand finalement, c'est le sabre à la ceinture d'Adam qui attire son attention. Il plisse les yeux et le tire de son fourreau abimé. La lame est presque noire, rouillée, mais pas tout à fait émoussé et la pointe peut s'avérer encore être dangereuse. Oui, il n'a qu'à essayer avec ça.

- Restes calme... je vais briser ces putains de chaines!

Et Morgan se redresse pour se décaler un peu de son meilleur ami pour lever la lame haut au-dessus de sa tête et, dans un geste plein de rage et de violence, l'abat sur la chaine qui sonne, tremble, mais ne cède pas. Nouveau coup... rien. Encore une fois... toujours rien. Plus fort! La chaine semble se tordre mais elle est toujours solidement ancrée au reste des chainons. Pendant qu'il frappe le Capitaine échappe de longs râles non pas d'effort mais bien de colère, et après avoir enchainé une quinzaine de coup de sabre... la lame vient subitement se briser en deux.

- MERDE!!! Dans le doute il se met à frapper avec la tranche de la lame, mais les chaines résistent toujours. Mais tu vas CEDER SALOPERIE?!!!

Rien à faire. Morgan balance le sabre cassé dans un violent accès de fureur et échappe un long rage découragé en se laissant tomber à genoux. Il n'en peut plus, il en a assez, il ne veut plus rester ici, Adam a besoin de soin, il DOIT le sortir d'ici! Ses mains couvrant son visage, le ruffian redresse la tête alors qu'il entend dans son dos le crépitement du feu dans la cheminé. Il tourne la tête vers le foyer et se redresse rapidement pour s'approcher des braises. Par terre le tison qui à servit à marquer Adam a refroidit et l'immortel s'en saisit avant de l'abattre brusquement contre le sol. La forme de la justice vengeresse ce brise de son socle et il ne reste plus qu'une longue pointe métallique au bout de son manche. Morgan passe le tisonnier dans le feu manquant plusieurs fois de laisser sa main s'embraser tant il a introduit la pointe de métal profondément au cœur des flammes. Le métal se met doucement à rougir devenant incandescent et le Capitaine retourne auprès d'Adam pour lui murmurer d'une voix qui se veut douce et rassurante.

- Surtout ne bouge pas...

Et d'un geste précis, il applique la pointe brulante du tison contre la base du fermoir de la menotte qui commence doucement à fondre... et s'ouvre finalement. Un sourire fier pare les lèvres du truand qui s'empresse de faire le tour et d'attaquer le deuxième poignet. Le métal a eu le temps de refroidir un peu et il lui faut plus de temps pour parvenir au même résultat mais au bout du compte, Adam est finalement libéré de ses entraves.

- Ca y est !! Lance Morgan pris entre la joie et l'appréhension.

Car maintenant il va devoir procéder au plus délicat... il doit soulever Adam pour le mettre sur son dos. Mais comment s'y prendre sans lui faire mal ou aggraver ses blessures?! l'immortel se maudit d'avance de s'apprêter à faire souffrir son meilleur ami, mais il ne peut pas se permettre de perdre plus de temps.

- Je suis désolé... mais il va falloir que je te soulève... Tiens le coup juste encore un peu et je te promet que tout sera bientôt fini !

Il cherche méticuleusement par ou l'attraper pour lui occasionner le moins de souffrance possible et prend finalement la décision de le saisir sous les aisselles pour le lever doucement . Une peur terrible fait trembler ses jambes et ses bras et il doit s'y reprendre à plusieurs fois pour finalement arriver à hisser son presque frère sur son dos et ne perd pas plus de temps pour quitter définitivement la salle de torture et commencer à s'engouffrer dans les multiples couloirs du sous-sol, ignorant totalement comment se rendre à la sortie. Mais de toute façon il ne peuvent pas rester là et attendre. Le temps est contre eux.









The Huntmaster

Même si la serrure ne venait pas d'exploser avec fracas, si la porte s'était simplement ouverte aussi brusquement pour venir cogner avec force contre l'une des colonnes de bois, il n'y aurait eu aucun doute. Autant d'empressement, ça ne pouvait être que Morgan. Incapable de discerner une clairement ses traits, les plis de ses vêtements déchirés, les courbes de son corps ou les ondulations de ses cheveux, Adam le reconnaît pourtant à toutes ses couleurs, approximativement son allure générale, sa taille, sa corpulence, le rythme de ses pas et finalement sa voix. Il ne voit qu'un ovale rond aux bords flous, encadré d'arabesques brunes, il n'y discerne ni yeux, ni bouche, ni nez, mais il sait que c'est son visage et il dirige ses yeux meurtris dans sa direction avec un sourire fragile. Les rires sanglotant dans sa voix lui font une drôle d'impression, il ne veut plus entendre de telles inflexions dans sa bouche, il a déjà enduré son ton lamentable et peiné tout au long de cette séance, maintenant elle est finie, ils reprennent leur liberté, seuls contre le monde entier, ils vont remonter sur leur maudit bateau et reprendre leur vie.

- C'est pas grave... Y a longtemps que j'ai appris à attendre derrière toi...

Sa propre voix rappeuse et fatiguée lui fait de la peine, mais il l'ignore et met des pointes amusées et encourageantes dans son intonation. Il devine son meilleur ami qui lui tourne autour et s'arrête finalement, s’accroupissant pour le contempler. Il n'a pas ce luxe, lui, il est incapable de savoir à quoi il ressemble... Oh, il a bien une vague idée, mais ce n'est pas le moment pour vomir.

- C'est pas le moment de fantasmer sur mon corps de rêve... Je te laisserai le dessiner dans la cabine...

Il entend Morgan lâcher un étrange sanglot et se mettre à s'excuser, à se lancer dans des « si ». Il sourit doucement et hoche négativement, et douloureusement, la tête. Son bras gauche tremblant, il le glisse lentement jusqu'à sa main sur laquelle il vient poser ses trois doigts encore valides.

- Excuse-moi, j'ai dû prendre un coup sur la tête de trop... Je sais pas pourquoi tu t'excuses... Il tousse en voulant rire. Avec des si je serais déjà capitaine...

Il affiche une mine apaisée quand Morgan parle de rejoindre le Black Sails, de les sortir de là. Voilà, c'est ça qu'il veut entendre. La main froide comme la mort est une apaisante caresse sur son visage fiévreux. Il ferme les yeux et, l'espace d'un instant intemporel, le Second se demande qui est le plus mort-vivant des deux. Paupières closes, il a tout de même conscience que Morgan est en train de chercher comment le libérer de ses entraves mais il ne se concentre que sur la main qui passe avec attention sur son visage, finalement la partie la moins abîmée de son corps. Il le sent s'éloigner et tirer la lame rouillée à sa ceinture. Un ricanement nerveux l'agite alors qu'il ne rouvre toujours pas les yeux.

- Promis, je bouge pas.

Il entend soudain les coups du sabre sur les maillons, leur résonance stridente accompagnée des grognements hargneux de Morgan. Son visage se tord en une grimace, ce que c'est désagréable !  Tout paraît amplifié et déformé aux oreilles du quartier-maître torturé et quand son meilleur ami hurle purement et simplement de colère après que l'arme se soit brisée, il crispe même ses épaules. Il se détend quand le capitaine tombe à genoux, en même temps que le silence, et reprend une respiration calme et mesurée. Tout va bien se passer, il en est sûr. Il a besoin d'en être sûr. Il sursaute un peu en entendant son presque frère s'activer à nouveau, il entend quelque chose se briser à nouveau et le crépitement de quelque chose dans les flammes. C'est ce moment qu'il choisit pour rouvrir les yeux et, de sa vision trouble, il discerne la forme familière de la tige métallique dont l’extrémité chatoie de la lueur du métal en fusion. Il se met à trembler sans pouvoir le contrôler et sent des sueurs froides qui n'ont rien à voir avec la chaleur émise par le tison couler le long de son visage, de sa nuque et de ses mains moites.

- D'accord... comme si c'était fait...

C'est après une longue inspiration qu'il peut détendre son corps raidi en entendant le son des deux fers qui se desserrent de ses poignets et celui du tison qui est jeté un peu plus loin. Un petit sanglot de la terreur qu'il a réprimée pendant quelques minutes agite sa poitrine malgré lui. Il sourit ironiquement en entendant son meilleur ami le prévenir qu'il va devoir le soulever. Sous-entendant qu'il risque de lui faire mal.

- Pourquoi tu t'excuses ? Tu crois que je me suis attaché à cet endroit ? Son sourire se fait plus vrai et sa voix plus douce. T'en fais pas... j'ai vécu pire. Cassons-nous d'ici.

Adam se sent saisir sous les aisselles et être hissé vers le haut. Tout son corps lui fait mal, il se tend de tout son long et réprime un gémissement étouffé au fond de sa gorge. Des étoiles noires brillent devant ses yeux aveugles et il ne saurait pas dire comment il s'est retrouvé dans le dos de Morgan. Ses bras passent autour du cou de Morgan et il s'y serre avec force grâce à ses épaules et ses coudes. Une chance qu'il ne puisse pas l'étrangler. Ses jambes ne peuvent pas se serrer autour de la taille de Morgan mais il s'en chargera sûrement.

Il n'a pas besoin d'entendre les pas de son meilleur ami pour savoir qu'il a commencé à avancer, il ressent chaque secousse dans tout son corps, le frottement des vêtements de Morgan contre sa chair brûlée, les soubresauts de sa démarche dans ses genoux brisés, le courant d'air de son élan sur les plaies de son dos... Et s'il est bien sûr d'une chose, c'est qu'ils n'ont pas la moindre idée d'où ils vont. Lorsqu'il entend des pas précipités et des cris, le Second se raidit. Non, non, ça ne va pas, ils vont se faire avoir à ce rythme, Morgan ne peut pas se battre convenablement contre tout un régiment avec lui sur le dos... Que faire ?

- Attends ! Articule brusquement Adam en manquant de s'étouffer. Je... j'ai une idée...

Il prend une grande inspiration et résumé sa phrase dans sa tête pour l'énoncer clairement.

- Le genre... Que j'ai que... Quand c'est pas à moi de les faire... Il sourit en espérant ne pas avoir perdu la tête. On connaît pas le chemin de la sortie, ni celui qui mène au Black Sails... on a qu'à les laisser nous le montrer !

Il glousse bêtement et faiblement alors que quelques images mentales se glissent devant ses yeux incapables de voir. Il reprend de sa voix rauque et étouffée.

- Laisse-moi te dire que je connais par cœur la salle de torture qu'on vient de quitter. Notre sortie de secours y est depuis le début... Je sais pas si y aura des barreaux... Mais au pire dedans, avec tous ces liens et ces objets on doit avoir de quoi bricoler un grappin... Ou alors j'espère que t'as encore de la force dans les jambes et les bras... T'es bon en escalade ?

*
* *

Un peu plus tard, après avoir découvert leur capitaine battu et inconscient au milieu d'un couloir, une troupe de personnes entre dans la salle de torture sombre et froide, fronçant le nez en inhumant l'odeur répugnante de sang, de bile et de sueur mêlée à celle de viande brûlée. Une voix féminine ordonne à tout le monde de partir à la poursuite des deux évadés, une poignée fouillant la demeure, une autre traversant la forêt jusqu'au port et le reste gagnant le Bloody Mary amarré non loin pour rejoindre rapidement le Black Sails avant qu'il n'ait le temps de lever l'ancre. Les pas s'éloignent rapidement et un léger écho de ricanement ricoche sur les murs de la salle de la Douleur.

- Perdu, connasse... résonne la voix d'Adam dans la cheminée.

Maintenant, il ne reste plus qu'à s'échapper et suivre les gars qui passent par la sylve... pour ce qui est de choisir le chemin de sortie, entre gravir la cheminée dont l'âtre passe par chaque étage ou emprunter escaliers et couloirs...

- Le reste repose sur toi l'ami...









The Huntmaster


Impossible. C'est tout bonnement impossible pour Morgan d'envisager le corps mutilé et recouvert de sang de son meilleur ami de ne pas se sentir affreusement responsable de son douloureux état. Dans la tête de l'immortel, une foule de constatation l'assaille et il n'a de cesse de se répéter que s'il avait été plus rigoureux, plus catégorique avec Adam, il ne l'aurait jamais suivit jusqu'à la taverne où devait se tenir le rendez-vous avec le Capitaine du Bloody Mary. D'aucun dirait que le Second l'a cherché, que c'est son entêtement qui lui vaut son état actuel, mais Morgan est loin de voir les choses de cette façon, il n'y pense pas une seconde non. Et alors que ses yeux se promènent désespérément sur chacune des blessures qui recouvrent le corps de son presque frère, c'est plus fort que lui, il ne peut pas s'empêcher de lâcher un semblant de sanglot étouffé. Le genre qui s'échappe machinalement de sa gorge, qu'il ne contrôle pas mais qui ne précède aucune larme ni aucune sensation de gorge nouée ou d'estomac serré. Ses excuses se perdent dans le néant, il ne réalise même pas à quel point il est pathétique, ridicule. Ce n'est pas dans ses habitudes de s'apitoyer, et il ne c'est déjà que trop excusé pour les années à venir. Alors lorsque la main d'Adam vient recouvrir la sienne, le pirate maudit sursaute un peu et envisage le pouce retourné et le majeur pendant avec une mine triste et soucieuse. Il peine à sourire en reconnaissant un semblant de rire dans la voix étouffée de son Second et échappe un ricanement nerveux.

- Commence déjà par rester mon Quartier-maître, se sera très bien!

S'en suit alors les tentatives multiples de Morgan de libérer son cadet des fers qui l'emprisonnent, d'abord en essayant de briser les chaines à l'aide du vieux sabre rouillé que les hommes de Thomas avaient laissé à la ceinture d'Adam, mais après plusieurs coups infructueux, la lame se brise comme une blague cruelle du destin. La patience du Capitaine du Black Sails arrive à son terme et il ne peut s'empêcher de laisser échapper toute sa rage à travers un hurlement que même les gars présents dans le fort auraient sans doute pu entendre. Mais puisqu'il lui est interdit d'abandonner, le ruffian ne tarde pas à trouver une deuxième solution. Solution qui ne plaira peut être pas à son meilleur ami mais de toute façon il n'en voit pas d'autre. Dans la précipitation, la terreur et l'angoisse, Morgan ne c'est même pas dit qu'il aurait certainement du fouiller le corps inconscient de son vieil ami pour voir s'il avait sur lui les clés des menottes, et puis il est presque certains que ce coup ci peut marcher!

Utiliser le tison pour faire fondre l'attache des fers est une bonne idée, mais elle demande une concentration et une précision que le pirate parvient difficilement à trouver. Sa main directement agrippée à la pointe brulante de la tige de métal tremble, d'autant plus qu'il peut sentir le stress du grand blessé juste en le regardant. Il aurait pu lui demander de refermer les yeux sachant que la vue du tison ne le mettrait pas à l'aise, mais tout le monde sait bien que lorsqu'on demande à quelqu'un de ne pas regarder quelque chose... le premier réflexe de n'importe qui est de regarder. Pendant qu'il applique la pointe en fusion sur la première menotte, le regard de Morgan oscille entre le visage crispé du Quartier-maître et sa tâche. Il chuchote de douces paroles rassurantes pour essayer de calmer ses peurs.

- Tu te débrouilles très bien... encore une petite seconde et... Le bruit de chaine qui tombe retentit quand la menotte s'ouvre et s'écrase lourdement contre le carrelage. Et d'une!

Le deuxième bracelet de métal ne tarde pas à rejoindre son jumeau et l'immortel balance le tison le plus loin possible avant de se redresser pour commencer a se demander comment il va faire pour redresser son meilleur ami sans lui faire mal. L'idée même d'aggraver son état le terrorise, mais s'il continue à se perdre en réflexions, les hommes du Bloody Mary vont finir par débarquer et il ne sera plus possible de s'évader. Le ruffian prévient alors Adam qu'il risque de le secouer un peu et le soulève le plus précautionneusement possible pour se courber vers l'avant, fléchissant les jambes afin de caller le Second sur son dos et se relève en forçant un peu sur ses genoux en sentant le poids du blesser peser sur ses épaules. Il ne ressent peut être pas la douleur ou la fatigue, mais c'est dans ce genre de situation que Morgan réalise que son meilleur ami es plus grand que lui. Les gémissements que s'efforce de retenir Adam font grimacer le Capitaine maudit, il serre les dents et finalement sent la pression des bras de son cadet se serrer autour de son cou. Ses bras sont passés sous ses cuisses et le maintiennent un peu au niveau des fesses pour éviter de se retrouver dans le plis de ses genoux brisés. Enfin stabilisé, le duo peut se mettre en route vers... vers où d'ailleurs? Ni l'un ni l'autre n'a la moindre idée d'où se trouve la sortie. Encore une fois, tant pis!

- C'est bon on s'tire!

Les deux pirates quittent la salle de torture et Morgan espère sincèrement qu'il ne s'agit pas que d'un "au revoir" mais bien d'un "adieu" définitif. Il y a bien une chose que sait l'immortel, ils se trouvent dans un sous-sol, il se souvient encore des nombreuses marches qu'il a descendu pour arriver jusqu'ici, alors en toute logique pour trouver la sortie... il faut remonter! Donc, trouver un escalier. Dans les couloirs des bruits de pas et l'échos de nombreuses voix se font entendre et Morgan se crispe en regardant partout autour de lui comme un animal apeuré qui chercherait un endroit pour se cacher de ses prédateurs. C'est finalement la voix d'Adam qui le rappelle à l'ordre et lui fait comprendre qu'ils n'arriveront à rien de cette façon. Il s'arrête et détourne la tête vers son protéger pour l'écouter énoncer son idée avec un regard perplexe. Le Capitaine fronce les sourcils à la proposition de son presque frère se demandant un instant où il peut bien vouloir en venir, mais comme souvent entre les deux hommes, l'immortel fini par saisir la portée de ses paroles et affiche un sourire satisfait et même presque entrainant.

- Adam, t'es génial ! Il rebrousse alors chemin pour reprendre le celui de la salle de torture. Si j'ai encore la force de te porter, je trouverai celle de grimper! Crois moi!

*
* *

Lorsque les hommes de Thomas pénètre dans la chambre de la douleur pour tomber sur une pièce entièrement vide et que la voix d'une jeune femme commence à donner des ordres... personne ne pourrait se douter que les deux fugitif activement recherchés ne se trouvent finalement pas si loin... En effet, si l'on se rapproche un peu de l'âtre de la cheminée et de la fumée qui s'échappe des braises éteinte, on peut apercevoir quelques dépôts de suie tomber du conduit. Non, Morgan n'y aurait certainement jamais songé lui même. Utiliser la cheminée comme cachette après avoir éteint le feu, c'était une idée grandiose et le ruffian s'étonne tout particulièrement de constater que même dans un état pitoyable, son meilleur ami reste toujours un fin stratège. C'est... plutôt rassurant dans un sens.

Un pied appuyé de part et d'autre du long couloir vertical, les mains dans la même position, Morgan force sur ses bras et ses jambes qui glissent à cause de la graisse et du charbon qui s'agglutine sur les parois murales. Il rit brièvement en entendant Adam se moquer de leurs opposant qui n'ont pas réussit à mettre la main sur eux et lève la tête vers le sommet pour fixer le point lumineux qui doit être la sortie du conduit de cheminée. A présent plusieurs solution... La première : redescendre et passer par les escaliers... trop risqué sachant que les pirates du Bloody Mary sont toujours à leur recherche. La deuxième : Remonter le long du couloir et sortir par le toit... peut être moins dangereux question adversaire, mais descendre du toit avec Adam sur le dos sera beaucoup trop compliqué et surtout trop risqué pour lui. Et enfin la dernière solution, visiblement celle qui lui semble aussi la plus abordable, remonter le couloir comme dans l'idée numéro deux, et sortir par l'un des âtres qui doit mener au rez-de-chaussée... et par conséquent à la sortie. L'immortel inspire profondément comme s'il s'apprêtait à réaliser un effort surhumain... ce qui est peut être un peu le cas.

- Accroche toi de toutes tes forces compris?!

Et il vaut mieux pour lui que son meilleur ami ne lâche pas pendant l'ascension puisqu'il n'aura pas les mains sous ses jambes pour le retenir. C'est dont dans un début assez laborieux que Morgan commence à escalader le long du conduit de cheminée. Il lève un pied tremblant, le repose, puis lève le second, en fait de même puis il se hisse en poussant un petit grognement d'effort. Le pirate lance un regard vers le bas... puis vers le haut...

- Beh on est pas rendu... murmure-t-il pour lui même s'efforçant de rester optimiste en souriant.

Le mur est affreusement glissant, Morgan s'agrippe comme il peu à la pierre, parfois une pierre dépasse un peu de la paroi et il peut s'y accrocher plus aisément mais ca reste difficile. le poids d'Adam sur son dos et la peur terrible de le voir le lâcher le force à avancer à une allure particulièrement lente. Les cendres déposées dans le conduit leur tombe dessus et Morgan se retrouve rapidement couvert de poudre noire que ce soit dans les cheveux, sur ce qui reste des lambeaux de sa chemise et de son pantalon, sur son torse, son visage, et même dans sa barbe et dans sa bouche. Il crispe une paupière lorsque la poussière dégoutante vient se saupoudrer dans son œil droit et jure en sentant son pied déraper de quelques centimètres. La graviter rappelle les deux corps à elle, mais heureusement, Morgan parvient à forcer suffisamment sur ses bras et ses jambes, essayant même de planter ses ongles dans la roche -sans succès évidement- pour stopper leur glissade. Plus de peur que de mal et il ne sont redescendus que d'un mètre tout au plus. Pour la deuxième fois de la journée, Morgan remercie intérieurement sa malédiction de lui épargner la fatigue et la douleur dans ses muscles, et si son cœur pouvait encore battre, sur qu'il serait entrain de tambouriner à tout rompre dans sa poitrine.

- Ca va Adam?! Tu tiens toujours le coup? Et il reprend son ascension sans plus tarder. On y est presque!

Le Capitaine arrive à une troisième sortie de cheminée et en constatant qu'il leur reste encore pas mal de distance avant d'arriver au toit, mais qu'en baissant la tête il doit bien y avoir six mètres sous ses pieds, il en déduit que cet étage doit probablement être le bon. Il s'agrippe de toute ses forces pour se sortir du couloir de pierre en faisant particulièrement attention à ne pas trop secouer le Quartier-maître accroché à son cou et se hisse pour sortir par l'âtre de la cheminée, rampant au sol avant de se redresser sur ses jambes. Il semblerait qu'ils aient atterris dans une chambre. Il fait sombre. Une fenêtre qui donne leur l'extérieur montre qu'il fait nuit, mais la meilleur nouvelle c'est qu'à en juger par la position de la fenêtre...

- On est au rez-de-chaussée!! Murmure triomphalement Morgan pour éviter d'attirer le reste des hommes de la planque sur eux.

Quelques un des pirate de Thomas sont encore entrain de quitter les lieux pour se perdre dans la forêt, pas le temps de chercher la porte d'entrée, l'immortel ouvre la fenêtre et l'enjambe habilement pour se retrouver enfin dehors. Il se cache derrière le tronc d'un sapin et commence à suivre la petite troupe à travers la forêt comme le consistait le plan d'Adam. Parfois, la lumière de la lune passe a travers l'épais feuillage des arbres et dévoile l'apparence démoniaque du Capitaine du Black Sails, mais avec Adam à moitié aveugle... il n'a peut être pas trop de soucis à se faire de ce côté là. Morgan furète discrètement, il est habitué à devoir se cacher et cette endroit est un parfait terrain pour jouer à cache-cache. Et pourtant le voila contraint de s'arrêter quand il entend des bruit de pas venir dans leur direction.

- Et merde... Jure le ruffian dans sa barbe avant de se faufiler à l'intérieur d'un buisson en espérant que leur poursuivants ne se sont pas mis en tête de fouiller chaque fourré. Il profite de cette pose forcée pour continuer de prendre des nouvelles de son meilleur ami. Comment tu te sens?









The Huntmaster

Il n'en peut plus de ce sous-sol qui sent le renfermé et la peur. Il n'en peut plus de gésir dans la poussière, la crasse, son sang, sa sueur et sa bile. Il n'en peut plus de cette obscurité grisâtre, de cette impression oppressante que lui donne le plafond aux chaînes qui lui semblent si proches de son visage. Il veut être ailleurs, tout son être réclame d'être ailleurs, n'importe où sauf ici. Il ne peut pas se lever, il ne peut pas marcher, il ne peut pas courir, il peut à peine ramper... Il voudrait s'envoler, se sentir léger et léviter vers un autre part lointain. Mais son corps est si lourd, maintenant qu'il ne peut plus rassembler ses forces dans certaines parties de son corps, que ses jambes sont devenues des poids morts... Qui aurait cru que des doigts puissent peser autant ?

Mais Morgan est là, Morgan est revenu, il va le sauver, le sortir de là. C'est parce qu'il est là, qu'il l'a toujours été, qu'il trouve la force de lutter, de rester en vie, de rester éveillé, qu'il a trouvé et trouve encore la force de se faire sarcastique. Et puis le sarcasme lui occupe l'esprit, le laisse alerte, l'empêche de sombrer dans un malaise débilitant. Il répond à chaque réplique de Morgan, glissant dans ses phrases toute l'ironie et l'assurance que ses cordes vocales veulent bien lui prêter, pour convaincre Morgan que tout va bien se passer, pour s'autopersuader qu'il n'est pas dans un état si déplorable que ça.

Il ne sait pas s'il doit admirer l'acharnement de Morgan qui abat avec violence la lame rouillée sur les chaînes en parfait état, faisant grimacer le prisonnier à cause du tintement désagréable qu'il produit, se dire que c'est ça qui va le sortir de ce mauvais pas, ou bien l'inquiéter tant ils sont dans une situation particulièrement désavantageuse. Il se crispe douloureusement et lève les yeux au plafond quand la lame se brise dans un crissement strident et se détend à nouveau en dépit du cri de rage du capitaine qui ne manquera sûrement pas d'alerter tous les résidents de la bâtisse que quelque chose ne va pas... Enfin si les coups de feu n'ont pas suffit. D'un autre côté, qui peut encore raconter que la séance de torture est finie ? Quoique... Adam ne sait pas et n'ose pas demander ce qu'il est advenu de Thomas et des hommes qui ont emporté son meilleur ami un peu plus tôt. Mais il est inutile de paniquer, la montre joue déjà contre eux, il doivent garder un semblant de sang-froid, être méthodique, ne pas se laisser aller des fioritures... Donc, Morgan, soit gentil, arrête de hurler et trouve une solution pour le sortir de là, c'est ça être productif en situation d'urgence.

Mais quand le Second devine le fer rouge près de son visage, il déglutit et se met à trembler comme une feuille morte... Ce qui l'inquiète d'autant plus puisque s'il tremble il augmente les risques que son camarade lui brûle la main. Il ferme les yeux si forts que des pattes d'oie se forme sur le coin de ses yeux et serre les dents dans un court gémissement, comme un enfant retenant ses larmes de frayeur alors qu'on va lui retirer une écharde ou un bout de verre qu'il s'est enfoncé dans la main. Il hoche la tête et se concentre sur la voix de Morgan qui le rassure, lui disant qu'il se débrouille bien alors qu'il ne fait absolument rien à part devenir blanc comme un linge en sentant le tison brûler à une paire de centimètres de son poignet. Quand la tension de la menotte cesse, que la bracelet métallique cède brusquement et bruyamment en s'écrasant contre le sol, il ne peut retenir un sursaut, un petit cri de frayeur, un sanglot pitoyable et aiguë. Il réitère, à peine plus discrètement, quand la seconde entrave meurt à son autre côté. Il s'efforce de reprendre de la contenance, faire comme si de rien n'était... Il a tellement honte...

Finalement, mais prétendre que ce fut facile serait mentir, il est hissé sur le dos de Morgan qu'il serre comme si sa vie en dépendait... et c'est bien le cas. La partie la plus douloureuse de cette position, bientôt suivie de la course dans laquelle ils se lancent, est sans doute possible ses genoux. Mais il doit faire avec, rien ne changera ça. Il ne voit pas les couloirs dans lesquels ils s'enfoncent, il n'entend que les pas de Morgan, les ressent... et entend rapidement le bruit d'autres personnes en mouvement, la cohue d'une petite foule qui s'agite et se lance à leur recherche. C'est alors qu'une idée naît dans l'esprit d'Adam, probablement la partie la plus vivante de ce qui fait ce qu'il est. Il attend avec impatience que le capitaine lui réponde, dise quelque chose, que ce soit un refus ou une meilleure idée... Ou alors il n'a pas compris ? Ce serait bien la première fois. Le Second s'apprête à préciser son plan quand il entend finalement Morgan le qualifier de génie, il étire un sourire fier.

- Ouais ouais... Que je te reprenne pas à dire subtilement que suis lourd, je vais faire comme si j'avais rien entendu pour cette fois !

Il sent le courant d'air qui marque leur demi-tour et serre les dents en sentant les mêmes douleurs que lors de l'aller. Il sent à l'odeur qu'ils se trouvent dans la pièce où il a subi mille morts... Mais ça ne l'inquiète pas plus que ça, il sait que c'est pour mieux s'en échapper. Le feu est éteint en quelques minutes, en l'absence d'eau dans la pièce, Adam présume que ça s'est fait en séparant les bûches et à coups de pieds... ou peut-être en l'étouffant avec les lambeaux de sa chemise... il ne sait pas et à vrai dire s'en fiche. Il sent Morgan se pencher pour pénétrer dans l'âtre qui, heureusement, est assez large pour les accueillir. Il grimace légèrement une fois qu'ils se trouvent dans la conduit en sentant ses jambes être doucement lâchées mais ne se plaint pas... celui qui va le plus trimer, c'est bien Morgan, même si sa malédiction va l'aider un peu... Et pourtant, Adam sait bien que même s'il ne ressent plus ni fatigue, ni douleur, que son toucher a été réduit au strict minimum, il peut toujours ressentir le poids que la gravité exerce sur son dos à cause du corps d'Adam qui semble vouloir l'attirer vers le bas. Il grimpe d'un mètre, juste assez pour se dissimuler, quand un brouhaha se fait entendre et que la bande à leur recherche surgit dans la pièce vide. Adam retient son souffle, son cœur battant la chamade en priant pour que personne ne les trouve... car dans cette position, si on les repère, ils sont faits comme des rats. Heureusement, la supercherie semble fonctionner et des ordres sont rapidement donnés alors que tout ce petit monde quitte la salle de torture. Il ne peut s'empêcher d'insulter la chef du groupe pour passer ses nerfs et se détendre après ce soudain pic de stress. Il s'en voudrait presque, elle avait une jolie voix, mais ses ombres de remords disparaissent rapidement au profit d'un sourire alors qu'il entend Morgan ricaner et qu'il se souvient qu'il est vaguement à moitié mort.

- À vos ordres cap'taine... Lance-t-il d'une voix étouffée alors que Morgan commence à grimper.

Là où il a d'indéniables remords, par contre, c'est en le sentant lutter pour escalader l'intérieur de la cheminée... Il regrette d'avoir eu un tel plan, ça doit être éprouvant, même pour le surhomme qu'est son meilleur ami. Mais il n'y a pas de meilleure solution, malheureusement. Avec un grognement douloureux, il contracte tous les muscles de son dos, la plupart mis à vif, et ses abdominaux pour supporter lui-même une partie de son propre poids et soulager un peu le fardeau de Morgan. Entendant la petite remarque de Morgan, le quartier-maître ne peut pas s'empêcher de ricaner un peu amusé... C'est probablement nerveux, c'est probablement l'instinct de survie et un peu la fièvre qui rendent Adam hilare, mais il s'amuse de leur situation, se souvient de toutes les galères qu'ils ont déjà traversées ensemble et se dit que ce n'est qu'une mésaventure de plus à inscrire dans les sagas de la légende du Capitaine Morgan et d'Adam, son fidèle Second. Jusqu'ici, elles ont toujours bien finies pour eux.

Pourtant, sa conscience lui rappelle régulièrement qu'il est à moitié nu et couvert de blessures dans un conduit d'une saleté sans égale et la poussière le fait régulièrement tousser, piquant ses yeux et lui laissant un terrible goût de cendres froides dans la bouche.

- Si ça peut te remonter le moral, t'as bien de la chance de pas avoir un odorat en état de marche. Ça schlingue.

Le destin leur suggère rapidement qu'il n'est pas l'heure de plaisanter en les faisant brusquement chuter d'un bon mètre, Adam sursautant et criant légèrement, surtout quand ses jambes manquent se cogner aux parois... Son cœur à lui bat bien à tout rompre et une goutte de sueur froide perle de son front jusque sur sa joue en espérant que leurs bavardages et ce réflexe de frayeur n'ont pas résonné tout le long du conduit et dans les différents étages. D'une voix blanche, le plus jeune acquiesce à la question de son compère.

- Oui oui, t'en fais pas... Il sourit pour se redonner du courage. Évidemment que je te tiens toujours le cou, sinon je serais en bas !

Finalement, après quelques minutes supplémentaires, un rai de lumière parvient aux yeux mal en point d'Adam qui devine qu'ils arrivent à un nouvel étage quand Morgan se hisse laborieusement à l'extérieur du conduit crasseux. Il grimace à cause de toutes ces contorsions et acrobaties mais ne se permet de râler. Un sourire de soulagement, presque déjà victorieux, passe sur les lèvres du quartier-maître en entendant qu'ils ont atteint le rez-de-chaussée, partageant la joie de son meilleur ami.

- Formidable... Plus qu'à quitter ce trou à rats ! Répond-t-il sur le même ton.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Adam entend le bruit d'une fenêtre qu'on ouvre et un courant d'air nocturne passe sur sa peau et le fait frisonner... il va attraper la mort à ce rythme mais il n'y a pas de temps à perdre. Incapable de deviner qu'ils se trouvent dans une chambre et désireux de ne pas les ralentir, il ne demande pas à son presque frère de lui trouver une couverture. Pourtant, bien vite, le quartier-maître s'habitue à la froideur de la nuit et sourit béatement, bien qu'un rien tremblant. Ce sentiment de... de liberté ! C'est juste sublime, magnifique, un soulagement sans nom, une résurrection. Il aime à sentir le vent frais sur son visage, la brise qui caresse parfois vicieusement ses plaies, sa peau qui revit avec le froid presque apaisant de ses blessures brûlantes et qui l'ont rendu fiévreux... La transpiration qui humidifie sa peau et devient soudainement fraîche ne va probablement rien amener de bon mais il se sent juste bien, s'éloignant de ce temple de souffrances, entendant les bruits de la nature, de l'eau, de la liberté si chère à son capitaine... Le monde entier les appelle.

Mais cette douce mélodie est gâchée par les lourds pas des pirates qui sont à leur recherche. Si ceux devant sont ceux qui les mènent à leur salut, s'il y en a derrière c'est plutôt mauvais signe... Il faut espérer que ce soit le convoi qui rejoint le Bloody Mary. Ils se réfugient rapidement dans un buisson et Adam tord légèrement son visage en sentant les branches et les feuilles griffer un peu sa peau complètement vulnérable. Pourtant, quand Morgan profite de cette pause forcée pour le questionner, le Second a fermé les yeux et sourit doucement, avec un air rassurant, sa tête reposant contre celle de Morgan comme s'il allait s'endormir. Il ne ressent plus rien, aucune douleur, pas de fièvre, pas de froid... Et au fond, ça devrait peut-être l'inquiéter si son esprit n'était pas si brumeux, comme le léger nuage de vapeur qui s'échappe de sa bouche à chaque respiration. Particulièrement pâle, il tremble plus que de raison et bégaye sans même s'en rendre compte.

- Tout va... Très bien... T'en fais pas... Balbutie-t-il d'une voix calme, endormie.

Son esprit aligne les pensées les plus simples du monde, peut-être pour se réserver si jamais il doit à nouveau réfléchir puisque c'est la seule chose qu'il peut encore faire pour aider Morgan. Mais pour l'heure, alors qu'il a toutes les commandes, il a l'impression d'être un enfant que son père ou son grand-frère porterait sur son dos car il est tard et qu'il fatigue. Il parle tout doucement, avec une certaine sérénité et probablement une naïveté sans borne, perdant pied, sa conscience s'éloignant de la réalité pour le protéger.

- On rentre à la maison ?









The Huntmaster


Ce n'est qu'au prix de nombreux efforts et d'un stress particulièrement envahissant que Morgan est enfin parvenu à libérer son meilleur ami de ses chaines. Usant du tisonnier en fusion pour faire fondre le point d'attache des menottes, c'est sans l'ombre d'un doute cette partie-là qui lui aura semblé la plus difficile. Pas seulement parce que l'épreuve demandait une précision et une concentration ainsi qu'un calme que le pirate maudit ne possède absolument pas, mais bien parce que la peur viscérale d'Adam à la vue de la tige de métal ne l'a pas vraiment aidé à se sentir à l'aise. A chaque seconde Morgan avait peur de le blesser, approcher le tison trop près de son poignet et le brûler... il s'en serait tellement voulu si l'une des blessures qui recouvrait ce corps mutilé et meurtrit serait de son fait. Et justement parce qu'il sentait la peur de son Second l'envahir, cette même peur le gagnait lui, se sentant terriblement désolé à chaque fois qu'un gémissement de terreur passait le pas des lèvres du cadet. Au bout de plusieurs longue et angoissante minutes, les bracelets de métal avaient cédé et Adam était enfin libre. Mais pour s'évader du repère de Thomas... il allait falloir ne céder ni à la panique ni au désir profond de courir à travers les couloirs pour trouver une sortie le plus rapidement possible.

Et c'est encore une fois grâce à Adam que le ruffian peut mettre en place une stratégie d'évasion qui ne lui semble pas trop bancale. Décidément, le Quartier-maître est vraiment incroyable! Même à moitié mort, même détruit, brisé et au bord de l'évanouissement, il est encore capable d'élaborer des plans de secours quand Morgan n'a pas d'autre moyen que de se laisser aller à son impulsivité naturelle. Il est indéniablement la tête pensante de leur duo... même dans cet état pitoyable. De retour dans la salle de torture, Morgan se dirige vers la cheminé dont l'âtre est toujours allumée et remue les cendres ainsi que les buches du bout de sa botte pour disperser les flammes et les forcer à s'éteindre, ce n'est pas comme s'il avait à craindre de se brûler. Rapidement les flammes cessent de danser et la pièce se retrouve plongée dans la pénombre. Les braises fument et brillent encore d'une faible lueur rougeâtre et il se courbe vers l'avant pour pénétrer à l'intérieur de la cheminée. Morgan ne songe qu'une fois dans couloir vertical qu'il doit faire particulièrement chaud au cœur de ce conduit et il sent bien que son ascension ne va pas être des plus simple. Alors qu'il se contente seulement de grimper pour se camoufler et ne pas laisser ses jambes en évidence au moment où les hommes du Capitaine du Bloody Mary entre dans la pièce, il sent la pierre sous ses doigts glisser terriblement à cause de la couche de gras qui c'est déposée sur les parois recouverte de cendre.

Mais le plus dur reste encore l'ascension en elle-même du conduit de cheminé avec Adam sur le dos. Si la fatigue et la douleur ne sont pas des facteurs qui peuvent l'arrêter, la gravité elle est incontournable, même pour l'immortel qu'est le plus vieux des deux pirates. Son meilleur ami est plus grands que lui, et certainement plus lourd aussi, alors escalader tout en supportant le pression qu'il exerce sur sa nuque est particulièrement difficile. Mais ce n'est pas ça qui inquiète le plus Morgan. Le corps épuisé et en triste état de son meilleur ami est presque livré à lui-même, dans cette position, le Capitaine du Black Sails n'a aucune chance de pouvoir le rattraper s'il venait à le lâcher et tomber. Heureusement qu'il s'agrippe a lui sans remord, une personne normale serait sans doute déjà morte étranglée. C'est donc la peur au ventre que le ruffian se hisse dans le couloir vertical, la suie recouvrant son corps et les lambeau de ses vêtements, ses doigts parvenant difficilement à trouver un appuis alors que sa paume n'a strictement aucune adhérence à la pierre froide et glissante. Un bref ricanement s'échappe de ses lèvres quand Adam trouve judicieux de lui faire remarquer que le conduit empeste et il prend un instant pour observer l'une de ses mains, noire et poisseuse de graisse, de cendre et probablement d'autres trucs bien crades...

- Je crois que même sans mon nez j'arrive à deviner l'odeur qui doit y avoir ici... d'habitude j'me fiche de la saleté mais là...

Ouais... là c'est vraiment répugnant. En même temps à quoi il s'attendait en remontant le conduit de la cheminée hein? surtout que celle-ci avait servi peu de temps avant. Morgan continue à grimper difficilement, échappant quelques râles d'efforts de temps à autres mais alors qu'il commence à se sentir tenir un rythme de croisière régulier, son trop plein de confiance en lui -ainsi qu'une regrettable chute de cendre dans son œil- le font manquer sa prise et le duo glisse brusquement le long des parois. Le Capitaine force sur ses bras et ses jambes, plantant ses ongles qui se détruisent dans la roches, et parvient heureusement à freiner leur chute, les paupières crispées de peur. Il sursauterait presque en reprenant conscience de la situation. Ouf... Adam est toujours accroché à lui. Le pirate inspire et expire rapidement comme s'il avait le souffle court alors qu'ils s'agit plus d'un réflexe qu'autre chose. Il peut presque sentir le cœur tambourinant dans la poitrine de son meilleur ami contre son dos et s'empresse de lui demander si tout vas bien, ce à quoi le Quartier-maître lui répond avec un sarcasme... à la fois rafraichissant et particulièrement de mauvais goût.

- Adam... celle-là t'es gentil, je veux plus jamais l'entendre... Maugrée le pirate à demi amusé mais peut être plus blasé encore.

En plus imaginer que son presque frère aurait pu le lâcher l'angoisse encore d'avantage et Morgan reprend son ascension en s'efforçant cette fois si d'être plus concentré. Et les efforts du duo finissent par payer puisqu'au bout de longues et pénibles minutes qui lui ont semblé durer des heures, Le ruffian atteint enfin l'âtre du rez de chaussé. Il rampe jusqu'à la sortie de la cheminée, ne prenant pas le temps d'observer les alentours, surtout lorsqu'il aperçoit une large fenêtre donnant directement sur l'extérieur. Par chance personne ne semble surveiller cette pièce et l'immortel a à peine le temps d'entrevoir leur deux reflets couvert de crasse et de sang qu'il ouvre en grand leur sortie de secourt pour sentir un courant d'air envahir brusquement la chambre. Si la fraicheur du vent ne parvient pas jusqu'à lui, il peut en revanche sentir la bourrasque soulever ses cheveux sales et caresser violement sa peau insensible. C'est tellement agréable. Incapable de réfléchir à un plan d'action alors qu'il n'est plus qu'à une enjambé de la liberté, Morgan quitte le repère de Thomas en espérant ne jamais avoir à y remettre les pieds un jour. Ils sont enfin dehors et pour la première fois depuis plus de dix ans le pirate maudit admire avec un sourire rayonnant -enfin... d'un point de vu extérieur ça doit être bien moins mignon-  l'astre lunaire briller au-dessus d'eux.

- J'aurais jamais cru être si heureux de la revoir un jour... Avoue-t-il peut être plus pour lui-même et par désir de briser un silence qui ne fait que l'angoisser d'avantage. Bon... c'est repartit!

Et Morgan s'élance à travers la forêt qui borde la masure, il entend le brouhaha des pirates qui se dirigent très probablement vers le port et doit faire vite pour ne pas les perdre. S'ils disparaissent, Adam et lui finiront certainement par s'égarer au cœur de la sylve et mettrons des jours, peut-être plus à retrouver le navire. Et soyons honnête... Adam n'a pas plusieurs jours devant lui. les raies de lumière éclairent alternativement les deux hommes et l'immortel se déplace habilement de tronc d'arbre en tronc d'arbre, parvenant même à rattraper les hommes qui les précédaient. Il affiche un large sourire satisfait, mais ce même sourire disparait rapidement lorsqu'il entend des bruits de pas dans leur direction. Sans doute des retardataire ou un des pirates qui se sera détaché du groupes devant eux.

- Bordel... comme si c'était le moment de t'arrêter pisser...

Morgan rage en se jetant presque dans un buisson, oubliant momentanément que son meilleur ami sur son dos est blessé et ressent probablement toutes les sensation sur sa peau au centuple. Et ce n'est que lorsqu'ils se retrouvent cachés derrière l'épais amas de feuille que l'immortel commence à ressentir les tremblement violent dont est pris le corps d'Adam. C'est vrai qu'à cause de la sueur, de ses blessures et de sa fatigue... il doit mourir de froid. Malheureusement, la chemise du Capitaine maudit n'est plus qu'un torchon de lambeaux sales, elle ne servirait à rien au Quartier-maître. Le pauvre... il lui fait tellement de peine, et il ne manquerait plus qu'il tombe malade maintenant! Morgan s'empresse de chercher un quelconque soulagement en demandant à son cadet si tout vas bien pour lui, mais contrairement à la réponse qui lui demande de ne pas s'inquiéter, le Capitaine du Black Sails est pris d'une peur bien plus grande encore que lorsqu'il avait manqué de dégringoler du conduit de cheminé. La voix d'Adam lui parait si lointaine, si vide. Et il bégaye tant le froid semble l'assaillir, non... non il n'a pas l'air d'aller bien du tout. Il ne peut pas le laisser comme ça ou il va mourir avant même d'atteindre la plage. Rien que d'y penser...

- Adam... murmure le ruffian avec une pointe de sanglot dans la voix. Oui... oui on va rentrer... je te le promet, on va rentrer, mais reste avec moi d'accord?!

Il sursaute en entendant un bruit de branche qui craque. Probablement le propriétaire des bruits de pas qui les aura entendu. Et merde... merde, merde, merde... qu'est-ce qu'il doit faire?! Dans cette position, Morgan est incapable de se battre. Et les bruit de pas se rapprochent encore, et encore. Le pirate remarque une silhouette qui s'approche du fourré derrière lequel ils sont caché et se redresse d'un coup pour l'attirer vers le sol, la paume décharnée de sa main se plaquant contre la bouche du pirate pour l'attirer au sol et passer la seconde sur son cou, d'abord pour l'étrangler fermement, puis réalisant que le bougre se débat, il fait pivoter brusquement l'axe de la nuque plus loin que la souplesse de ses cervicales ne peut le lui permettre et l'homme meurt sur le coup. Tout ce remue-ménage a indéniablement du secouer Adam et l'immortel s'empresse de lui adresser la paroles, presque paniqué.

- Adam t'es toujours là?! T'endors pas tu m'entends? Reste réveillé, quoi qu'il arrive! Parles-moi ou... ou... tiens chantes-moi quelque chose!

Et pendant qu'il parle, le Capitaine défrusque l'homme qu'il vient de tuer pour le déposséder de sa chemise et de son gilet, se contorsionnant pour éviter le plus de douleur possible à son presque frère.

- Tiens, essais d'enfiler ça, on va éviter que tu choppes la mort... Il se tait une seconde et reprend sur un ton désolé. Enfin... sans mauvais jeu de mot...

Il aide le Second a passer ses bras dans la chemise, puis le gilet sans pour autant pouvoir les refermer et se remet enfin en route, essayant de retrouver le son des voix qui le guidait à travers la forêt. C'est dur. Morgan a peur, Morgan n'entend plus rien à par les grillons et quelques hurlements de chouettes ou de hiboux, il court, aussi vite que possible, pour se rapprocher de quelques murmures lointains qui semblent parvenir jusqu'à lui.

- Allez.... allez.... allez!!

L'immortel s'encourage, se pousse à avancer, il a honte de l'avouer, mais ce contretemps l'a de toute évidence perdu... il n'a plus d'autre choix que de poursuivre en espérant se diriger dans la bonne direction...









The Huntmaster

- Débrouille-toi pour qu'on se retrouve plus jamais dans une situation qui me permette de la placer et je ferai un effort ! Glousse faiblement Adam.

En effet, si à l'avenir il peut éviter de se retrouver à moitié mort sur le dos de son presque frère, étouffant dans un conduit de cheminée sale et encore chaud, ça l'arrangerait. D'autant plus que, pour se rassurer, une foule de commentaires sans intérêt aucun lui passent par la tête, notamment vis-à-vis des usages divers et variés que Samoth pourrait faire d'un ramoneur, et qu'il doit s'efforcer de ne pas énoncer, tant pour ne pas déconcentrer Morgan qui a déjà failli choir une fois que pour ne pas passer pour un crétin fini qui a perdu toute raison. N'empêche qu'y a bien des cheminées que Thomas devrait songer à déboucher.

Au prix de bien des efforts, autant de la part de Morgan pour escalader le couloir vertical offrant bien peu de prises que de celle du Second pour se taire, les deux pirates arrivent enfin au rez-de-chaussée. Le grand blessé, ou plutôt le presque mort, n'entend que la respiration factice et haletante de son meilleur ami, quelques pas, et le bruit d'une fenêtre qu'on ouvre. Ce dernier est accompagné par un brusque courant d'air qui le fait s'agiter d'un bref frisson sans pour autant décoiffer ses cheveux poisseux et sales. Il se serre plus fort contre le corps froid de Morgan à la recherche d'une chaleur imaginaire et baisse la tête pour être certain de ne pas se cogner alors qu'il enjambe le rebord de la fenêtre et les emmène dehors. Il s'étonne un instant de le sentir s'arrêter un moment et tendre la tête vers le haut. Il ne comprend pas tout de suite le sens de ses paroles avant de sourire alors qu'il réalise de quoi Morgan est en train de parler et, vraisemblablement, de ce à quoi il ressemble pour l'heure.

- Assure-toi de mettre un truc bien laid sous mes yeux quand j'aurais recouvré une vue potable et, peu importe ce que c'est, je te promets de dire exactement la même chose... Lance-t-il, se rendant compte un peu tard du côté morbide de sa réplique.

Le capitaine s'élance dans le bois aussi vite qu'il le peut et, si cela part probablement de la meilleure intention du monde et qu'à terme cela est censé sauver le quartier-maître, pour l'heure le courant d'air de la course ne fait qu'intensifier les secousses que le froid inflige à son corps. Malheureusement, si c'est déjà plutôt éprouvant, cela ne va pas être si facile. En effet, un de leurs poursuivants qu'ils sont en train de filer se détache de son escouade, allez savoir pourquoi. Morgan a sa petite idée et son meilleur ami ne peut retenir un ricanement stupide qui contraste violemment avec la situation mais surtout avec ses grimaces alors qu'ils plongent dans un fourré pour se réfugier. Grelottant, un nouveau rictus ironique barre ses lèvres. Bon Dieu, les renommés Second et Capitaine du Black Sails pris en chasse par d'autres pirates comme deux vulgaires officiels avec un peu trop d'or sur eux pour leur bien. Deux vulgaires officiels aux trois quarts morts.Vêtus de frusques comme les derniers des mendiants. Et si Morgan a la chance relative de ne pas sentir le froid, Adam en est meurtri sans même s'en rendre compte tant son mal est profond. Son corps est agité de légers spasmes ses lèvres et sa langue si habiles tremblent et s'emmêlent quand il s'efforce de rassurer son presque frère sur son état. Somnolant, il serre un peu plus fort Morgan, cette fois avec l'intention de l'enlacer en sentant le sanglot dans sa voix. Il sourit et respire doucement, une fine pellicule de buée s'échappant de ses lèvres à chaque respiration, calme et posée bien que ponctuellement agitée de soubresauts.

- Évidemment. Où... Où veux-tu que j'aille... Sans toi ?

Bien vite, les bruits de pas se rapprochent. Ils se rapprochent beaucoup trop, coïncidence ou pas, ils vont se faire découvrir incessamment sous peu. Adam s'arrête de respirer un moment, le stress montant à chaque pas supplémentaire qui craque dans l'herbe gelée par la nuit. Mais ce qui le fait sursauter, c'est bien Morgan qui se dresse d'un coup pour saisir l'importun et le plaquer au sol, probablement en train de l'étrangler. Mais vu les gémissements étouffés qu'il crache, il ne tardera pas à alerter ses camarades. Ça doit être pour ça que le capitaine choisit de lui tordre le cou sans plus de cérémonies, comme l'indique le craquement répugnant qui parvient aux oreilles d'Adam qui grimace plus de douleur que d'un réel dégoût.

- Sois pas con, où tu veux que je sois ? Et t'en fais pas, je risque pas de m'endormir avec tes acrobaties...

Et pourtant, il est si fatigué, ses paupières sont si lourdes, son corps est si lourd, tout endolori qu'il est par les caresses du froid. Une douce inconscience l'appelle pour qu'il puisse se reposer, oublier cette épreuve, ces peines, ces efforts et juste éteindre sa conscience avec l'espoir de se réveiller comme si de rien n'était, dans la cabine du Black Sails, quelques heures plus tard, loin de tout ça. Mais voilà, Morgan le lui interdit, il refuse. Enfin, il n'est pas à une torture près... et il doit chanter en plus de ça.

- Qu'est-ce que tu veux que je te chante, enfin ? On va se faire repérer... ou alors je dois vraiment parler... très bas... S'insurge-t-il mollement, sa voix étant déjà hors du domaine de l'audible excepté pour l'oreille de Morgan à côté de laquelle il se trouve.

Il devine au bruit des vêtements qui se froissent que Morgan est en train de dévêtir le macchabée encore chaud pour donner ses habits à quelqu'un qui en a désormais plus besoin que lui.

- Un partout, on est quittes... Répond-il en tendant des bras tremblants pour enfiler péniblement le gilet et la veste, grimaçant alors que ses doigts se coincent dans les ourlets et plis des vêtements.

Et soudain, c'est le drame. Sa peau était dure, congelée par le froid qui léchait terriblement les os et la chair à vif de son majeur gauche. Le doigt mutilé pendant lamentablement au bout de sa main se prend dans la manche du gilet qu'il enfile en tremblant et, alors qu'il tend le bras dans un mouvement sec, le membre se détache du reste de son corps dans un léger craquement presque anodin. Un geignement de douleur aigu monte dans la gorge du quartier-maître qui lance brusquement sa tête en arrière, offrant sa face au ciel, serrant les dents et grimaçant pour étouffer le cri qui grimpe le long de ses cordes vocales avant de retomber lourdement sur l'épaule de Morgan, sanglotant un peu, quelques larmes coulant sur ses joues froides alors que le majeur tombe simplement par terre comme une branche de bois mort. La douleur n'est pas si violente qu'elle peut le paraître, le membre était déjà presque détaché de son corps. Pensait-il qu'on pourrait encore en tirer quelque chose ? Non, certainement pas, mais voir, ou plutôt sentir, une partie de son enveloppe charnelle, de ce qui fait de soi une personne à part entière, être définitivement séparée de son ensemble... c'est terriblement traumatisant et effrayant. Comme un pas vers la mort.


Réveillé pour le coup, pleurant aussi discrètement qu'il le peut contre le dos de son meilleur ami, dans le creux de sa nuque, Adam essaye de relativiser en sentant son corps se réchauffer un peu grâce à ces vêtements. Ils portent encore en eux la chaleur de leur précédent propriétaire... Reniflant, il cherche quoi chanter, puisqu'il le doit, puisque le sommeil rimerait probablement avec la mort, puisqu'il faut rimer pour la vie. Il n'a pas de quoi donner assez de coffre pour décemment chanter une de ses chansons de marin, ni n'importe quel autre air enjoué qu'il sert d'habitude à qui veut bien l'entendre. Alors, tandis que sa conscience tente toujours plus vicieusement de s'évanouir, qu'il se sent terriblement vulnérable, comme un enfant, ses souvenirs remontent jusqu'à une époque qui lui semble maintenant bien lointaine. Une époque où il n'était pas bien plus grand qu'une haie de rosiers dans cette grande demeure où il se plaisait, dans l'annexe où il logeait, à s'asseoir sur les genoux couverts par une jupe marron de sa mère qui appuyait doucement sur les touches au nacre effrité d'un vieux piano presque accordé pour lui apprendre quelques morceaux simples et autres comptines. Il tend un peu l'oreille et, profitant de sa cécité partielle, peut dire que Morgan court dans la bonne direction. Alors il hoche simplement la tête et sourit avec nostalgie en entendant les grillons, les bruits de la nature, des animaux, et tend les lèvres comme pour embrasser le lobe d'oreille de son meilleur ami, arquant la langue dans sa bouche et commence à produire un léger et tremblant sifflotement, une douce mélodie qui reproduit maladroitement la symphonie de ses souvenirs. Il clôt les paupières et oublie ses larmes, sa douleur, le froid, pour chercher dans sa mémoire les mots de son enfance.

« Doucement, l'hiver,
Doucement, sincère,
Doucement s'installe,
Et doucement cavale.

Lentement se fanent,
Lentement, diaphanes,
Lentement, les pétales,
Et lentement, le mal... »

Il siffle à nouveau tout doucement, continuant sa chanson, offerte uniquement aux oreilles de Morgan qui court pour sauver sa vie, qui fait tant d'efforts pour lui, qui ne l'a jamais abandonné. De ses trois doigts encore valides, il saisit fermement l'un des lambeaux de sa chemise pour s'accrocher plus fermement à lui. Il sent qu'ils vont s'en sortir, ils s'approchent, lentement mais sûrement, de la plage... Peut-être... Peut-être entend-il le bruit de la ville, voire de la mer... Des vagues qui s'échouent contre la coque de leur bateau, du vent qui fouette les voiles repliées. Peut-être que tout ça est encore bien loin, très loin, trop loin, mais ils se rapprochent.

« Chante dans la nuit,
Ce qui se flétrit,
Les animaux dorment,
S'abritent sous les ormes.

Le cycle recommence,
Pour une nouvelle danse,
Quelques temps plus tard,
Après la nuit noire... »


Il ne sait pas s'il doit se trouver profondément stupide ou bien s'il est soudainement ému. Cette chanson est tellement naïve, tellement mièvre... Oh, à quand remonte tout ça ? Quand est-ce qu'il y a songé pour la dernière fois ? Quand a-t-il cessé de penser à sa première vie, et toutes les autres ? Il déglutit au cours de son sifflotement, tremblant cette fois plus d'émotion que de froid et reprend.

« Calmement, grand,
Calmement, blanc,
Calmement, saupoudre,
Et calmement recouvre.

Sereinement, gèle,
Sereinement, éternelle,
Sereinement, la vie,
Et sereinement oublie... »


Il sanglote doucement à nouveau, bonté divine, pourquoi cette partie lui semble adressée ? Pourquoi sa mère lui apprenait-elle des chansons aussi tristes ? Il frotte son nez dans le cou de Morgan qui rattrape à n'en pas douter les pirates qui leur montrent, bien malgré eux, le chemin à suivre. Il est là, lui. Il ne l'oublie pas.

« La neige, les flocons,
Le rythme des saisons,
Finit et recommence,
Sans même qu'on y pense.

Mais même dans l'hiver,
La nature espère,
Échappent au sortilège,
Les perce-neige... »









The Huntmaster


La liberté. Elle est là, juste sous ses yeux. Elle leur tend les bras et les appelle de sa voix enchanteresse, cette liberté qui a été si sauvagement et brutalement arrachée aux deux pirates, la voilà enfin... à une enjambée à peine. Lorsqu'il ouvre précipitamment la fenêtre qui mène directement à la forêt, Morgan est fou de joie, il en oublierait presque la torture, l'enfermement, le passage à tabac de Thomas, l'ascension du conduit de cheminée... Tout ce qui compte à présent, c'est qu'ils sont libre. La lueur argenté de la lune scintille fièrement dans le ciel nocturne paré d'étoiles, et la brise légère fait chanter les feuilles des arbres en un mélodieux bruissement. Ils sont dehors, ils ont réussi! Ils ont réussi!!! Ils ont... Une pression sur son coup fait presque soudainement sursauter le pirate maudit qui, comme transpercé par la foudre, se souvient qu'il n'y a pas de temps à perdre, il s'extasiera de la beauté spectaculaire de cette lune plus tard. Dire que ça fait dix ans qu'il passe ses nuits à l'éviter et voilà qu'il se surprendrait presque à vouloir embrasser ses rayons à bras le corps. La note d'humour maladroite d'Adam fait sourire l'immortel qui échappe un ricanement empreint d'un malaise à peine assumé.

- J'espère que c'est pas de moi que tu parles... Plaisante le pirate mort-vivant. Mais je serais presque tenté de le faire juste pour le plaisir de te faire culpabiliser quand tu devras dire que "tu ne pensais pas être un jour aussi heureux de me revoir".

Parce que pour Morgan, il est évident qu'Adam sait déjà à quel point il sera heureux de pouvoir contempler son visage à nouveau. Tout comme le pirate sera comblé de bonheur lorsque son meilleur ami aura recouvré correctement la vue. Mais pour l'heure, le bonheur n'est pas encore tout à fait au rendez-vous. Certes ils sont libre, mais maintenant, il va falloir filer le train des hommes de Thomas pour retrouver le Black Sails et parvenir à embarquer et s'enfuir avant de subir une attaque du Bloody Mary qui leur serait assurément fatale. Le brick n'a pas l'armement ou la force nécessaire de résister à l'artillerie du bâtiment de l'ancien compagnon de voile de Morgan. Il le sait bien malheureusement. Alors l'immortel s'élance, puisqu'il n'a pas d'autres choix, il court aussi vite que possible à travers les arbres et les fourrés pour ne pas se faire repérer, mais il faut croire que leur malheur est loin d'être terminé puisqu'un des flibustiers se détache de son groupe pour se diriger -est-ce un hasard ou non?- dans leur direction. Le Capitaine maudit jure ouvertement avant de plonger dans un buisson, ayant momentanément oublié la condition physique déplorable de son meilleur ami sur ses épaules. Mais Adam a tôt fait de rafraichir la mémoire de son ainé de sa voix faible et lointaine et l'immortel ne peut nier être pris d'une sacré angoisse en sentant son presque frère au bord de l'évanouissement. Dans l'état ou il se trouve, s'il s'endort... il va... Non. Non Morgan ne peut pas y penser, c'est impossible, il ne peut pas échouer si près du but. Le sanglot étouffé qui se bloque dans sa gorge fait visiblement réagir le Quartier-maître qui s'empresse de se faire plus rassurant, mais rien à faire, sa voix grelottante et les spasmes qui secouent son corps ne peuvent pas calmer les angoisses du ruffian.

Tapis dans l'ombre du feuillage épais, s'efforçant de maintenir Adam dans une position plus ou moins confortable, il n'a pourtant d'autre choix que de relâcher le maintien de ses jambes pour se jeter brusquement sur l'intrus qui s'est définitivement beaucoup trop rapproché des deux hommes pour que Morgan ne tolère encore qu'il reste en vie. Tant pis. Désolé Adam... vraiment désolé, mais il va falloir que tu sois fort ce coup-ci. L'immortel sait qu'il doit aller vite, il tire le pirate à lui et s'empresse de le réduire au silence d'un geste bien précis. Tien? Est-ce que ces mains sont entrain de trembler? Certainement la peur d'avoir attiré le reste des hommes, un des derniers réflexe humains qui lui reste probablement encore. Et lorsque Morgan s'empresse de jauger l'état de son meilleur ami en lui demandant si tout vas toujours bien de son côté, il ne peut s'empêcher de ricaner à sa réponse insurgée. Entendre le timbre presque dépité de la voix d'Adam est une sorte de soulagement momentané qui permet au pirate maudit de se ressaisir pour un temps.

- Tu sais très bien pourquoi j'te dis ça abrutit... alors contentes-toi te rester réveillé, c'est tout!

Le Capitaine ôte précipitamment les vêtements qui couvrent le torse de l'homme étendu au sol, il manque plusieurs fois de s'emmêler les pinceaux avec tous les boutons de la chemise et doit se retenir très fortement de ne pas s'énerver brusquement et risquer de la déchirer d'un coup. Pendant ce temps, Adam continue de râler, il n'a de tout évidence pas spécialement envie de pousser la chansonnette ce qui peut se comprendre vu l'état dans lequel il se trouve, mais c'est tout ce que son ainé a trouvé pour le forcer à ne pas s'endormir. Bien sûr que c'est dur, bien sûr que Morgan à comprit à quel point la voix toujours plus murmurante et basse du Quartier-maître traduit sa fatigue et son désir de tout lâcher pour... simplement se reposer un peu. Et il s'en veut. Oh oui il s'en veut de lui infliger cette souffrance... mais il n'y a pas de "un peu" permettre au cadet de s'endormir est un risque que l'immortel ne peut pas se permettre.

- C'que tu veux, je m'en fiche! Murmure Morgan entre l'agacement et l'empressement alors qu'il continue de défrusquer le cadavre du marin. Et ne t'en fais pas... on ne risque pas de t'entendre... Termine-t-il d'une voix morne et inquiète.

Non, ça ne risque pas... lui-même a déjà tant de mal à saisir la portée de ses mots. Enfin le macchabée est dévêtu et le Capitaine peut s'occuper de les faire passer à son presque frère. Toujours affalé sur son dos, ce n'est pas une mince affaire de l'aider à s'habiller, Morgan ne voit pas vraiment ce qu'il est en train de faire et doit éviter de se contorsionner au maximum pour ne pas faire tomber Adam. Ses mouvement sont aussi précis et juste que possible alors qu'il contemple un peu malgré lui les mains mutilés de son meilleur ami s'enfoncer dans les manches de la chemise et du gilet. Alors n'va-t-il pas fait suffisamment attention ou bien y sont-ils allé un peu trop vite lorsque vint le tour de la main gauche de passer dans ledit gilet? Car soudainement, le pirate sent une résistance bloquer la manche... résistance qui ne tarde pas à céder brusquement sous la forme d'un craquement à peine perceptible... Morgan crispe sa main et ses épaule, les dents serrées et écarquillant les yeux alors qu'il voit le majeur qui pendait de sa base, retenu par un fin tissu de peau, s'écraser lourdement dans l'herbe à ses pieds.

-Adam?......

Bien sur ce qui attire le plus l'attention du pirate, c'est le corps d'Adam qui se tend dans un gémissement de douleur, il se retient de hurler, ce n'est pas difficile à comprendre, et pourtant il y aurait de quoi. S'efforçant de ne pas céder à la panique alors que son meilleur ami vient de vivre un moment absolument horrible et sans doute terrifiant, pour ne pas dire traumatisant, Morgan se redresse et prend la décision de quitter cet endroit le plus rapidement possible... ils n'ont plus rien à faire ici, et il ne peut pas laisser Adam se repaitre de la vision d'une partie de lui-même gisant sur le sol comme s'il s'agissait d'un objet tombé d'une poche. Lui demander si tout vas bien est absolument inutile et stupide, évidement qu'il ne va pas bien, ses sanglots en sont la preuve, alors le pirate se risque à autre chose... puisqu'il n'a pas mieux pour l'instant.

- Ca va aller Adam... c'est bientôt terminé je te le promet! On y est presque... je vais pas te laisser tomber fais-moi confiance!

Oh il est tellement désolé, tellement mal... sa voix tremble et il quitte rapidement le buisson, abandonnant le morceau de chair et d'os à sa solitude. Il n'a plus de temps à perdre, il ne peut plus se permettre de ralentir ou de s'arrêter maintenant. C'est tout ou rien. Morgan s'élance à nouveau, à l'écoute du moindre bruit de pas ou d'une quelconque intonation de voix, il doit a tout pris retrouver la piste des hommes de Thomas où ils finiront égaré dans cette foret et c'est la dernière des choses qui doit arriver. Pourtant, le Capitaine du Black Sails doit bien reconnaître que les malfrats ont pris de l'avance sur lui et ce coup-ci, il est tout seul... Il n'a pas d'autre choix, il doit essayer de pister au mieux leur chemin, lui qui est si mauvais en pistage... lui qui n'a aucune aisance sur le sol pourtant ferme et rigide de la terre. Non, il est loin d'être à l'aise et tout ce à quoi il peut se référer dans la nuit sombre, c'est tout au plus quelques brindilles écrasées au sol ou des herbes retournées. Le peu de trace de pas qu'il parvient à apercevoir sont à peine visible, mais avec tout ça, il devrait pouvoir s'en sortir sans le soutien de son meilleur ami, bien meilleur que lui dans ce domaine.

D'ailleurs... sa voix ne tarde pas à raisonner, ou plutôt... un sifflement. Adam est entrain de siffler et enfin, une jolie mélodie vient façonner sa voix épuisée et encore bourrée de trémolos. Adam est entrain de chanter. Le Capitaine avait même fini par oublier qu'il lui avait demander ça pour éviter qu'il ne s'endorme mais à présent, il entend les paroles mélancolique de la chanson qui soufflent dans son oreille et se concentre autant sur cette voix que sur le chemin qu'il s'efforce de suivre. Morgan ignore bien comment ou pourquoi, mais il sent qu'il va dans la bonne direction, sa course folle le guide à travers les chemin de la forêt et il se sent approcher d'une source lumineuse intense, il entend des bruits qui se font de plus en plus fort, il se rapproche, il en est certain! La chanson d'Adam rythme ses pas et... bon sang qu'est-ce que ses paroles sont tristes... Le Quartier-maître semble si touché en les chantant, comme si elles lui rappelaient des souvenirs douloureux. Le pirate maudit aurait certainement pu sentir sa gorge se nouer et les larmes lui monter aux yeux si seulement son corps en était capable. Mais il ne peut pas... alors par respect pour Adam, il ne dit rien, reste solennel et silencieux, il continue à courir, courir pour la vie de son meilleur ami. Il court pour la vie alors qu'Adam chante pour elle... les deux hommes sont en train de se battre à leur façon. Se battre contre le destin, lutter contre la mort! Pas dormir... pas s'arrêter de courir! Il faut continuer, encore et encore! Parce que la forêt touche bientôt à sa fin, parce que l'immortel entend les voix des hommes de Thomas se parler entre eux, se donner des ordres, parce qu'il entend le chant des vagues se mêler à la voix sanglotant de son meilleur ami dont la voix s'éteint à la fin de la triste mélodie.

- T'as réussi Adam... t'as réussi... Susurre fièrement Morgan à son cadet en caressant ses cuisses du bout du pouce. Il soupire. Je vois le Black Sails! Tiens le coup juste encore un peu je t'en prie!

Les hommes du Bloody Mary sont là eux aussi, ils affluent en masse près du navire, mais ce n'est pas ça qui va faire peur à Morgan, se faufiler est une chose qu'il a appris à faire depuis qu'il est maudit, il y a peut-être beaucoup de pirates, mais ils s'attendent certainement à les voir débarquer du chemin principal, tout comme personne ne les a vu sortir de la masure. Alors Morgan sort du chemin de terre pour longer l'orée du bois jusqu'à un endroit plus sur ou il continue de serpenter entre les arbres puis finalement les caisses empilé çà et là sur les quais, les barils et tonneau, les bâtiments et ruelles, le tour est bien plus long que s'ils avaient simplement traversé, mais de cette manière, personne ne peut les voir. L'immortel est aussi silencieux qu'un fantôme, les lambeaux de ses vêtements couvrent à peine sa carcasse décharnée qui se fond dans la nuit et bientôt, il peut toucher de sa main la coque de son navire qui n'a pas bougé d'un pouce depuis la veille... car le soleil est doucement entrain de poindre à l'horizon. Plutôt que de gravir la passerelle qui lie le Black Sails au port, le Capitaine maudit choisit de se hisser le long d'une corde qui rejoint le pont.

- Un dernier effort Adam... cette fois c'est vraiment le dernier! Accroches-toi... accroches-toi de toute tes forces! Et après... après tu pourras te reposer...

Au prix de nombreux effort, les deux pirates sont enfin chez eux, et personne ne les a vu. Le plus dur et fait, Morgan ne se sent plus se soulagement tant il est heureux d'avoir retrouvé son navire... en revanche... il est entièrement vide. Les hommes doivent être en train de dormir, mais il y a bien un homme dont le Capitaine sait avec certitude qu'il pourra le trouver...

- STEPHEN!!! Hurle Morgan en défonçant pratiquement la porte de l'infirmerie.

Le médecin sursaute et manque de s'écrouler de la chaise sur laquelle il s'était endormi.

- Capitaine?! Mais où vous étiez pas...

- Pas le temps!! Adam! Il est blessé... il va... il... GROUILLES-TOI ! FAIS TON BOULOT!

Et Morgan dépose le corps fragile de son meilleur ami sur la table d'observation du toubib qui s'empresse de le rejoindre et d'analyser les mutilations qui couvrent le corps du Quartier-maître d'un air horrifié.

- ALORS QUOI??!!! T'attends qu'il y passe?! Hurle presque Morgan sous le coup de la colère et de la panique.

- Capitaine... j'aimerais que vous me laissiez avec lui.

- J'te demande pardon???

- A-Avec vous qui me hurlez dessus je... je vais avoir du mal à me concentrer. Répond le médecin a la fois impressionné et s'efforçant de rester sur de lui.

Morgan voit rouge, il se jette sur Stephen pour l'attraper par le col et manque de lui en coller une quand une quatrième personne débarque dans l'infirmerie pour maîtriser le Capitaine maudit.

- Calme toi Morgan... Ca servira à rien si tu tues la seule personne capable de le remettre sur pied...

- Adrian t-...

- C'est bon... viens... il est entre de bonne main et tu le sais...

Le Pirate se calme presque instantanément et relâche Stephen pour lui permettre d'occulter son patient. Il se laisse guider vers l'extérieur, non sans lui échapper une dernière fois pour caresser doucement le dessus de la main droite de son meilleur ami.

- Tien bon Adam... tu verras... tout vas rentrer dans l'ordre... Tout vas rentrer dans l'ordre...

Et il se fait sortir de l'infirmerie par le maître d'équipage qui le conduit précautionneusement à l'extérieur, comme un pantin, une marionnette... déboussolé.









The Huntmaster

Il n’est plus persuadé d’encore être un homme. Balloté par le vent, cahoté par la course et le terrain accidenté, Adam a l’impression de n’être qu’un bagage encombrant sur le dos de Morgan qui court pour sa vie. Pas sa propre vie mais bien la sienne à lui, son quartier-maître, son Second, son meilleur ami, son presque frère. Sa seule faiblesse. Et Dieu sait qu’il courrait davantage pour sauver le cadet que se préserver même s’il n’était pas immortel. Le grand blessé perd peu à peu la notion du temps et de l’espace, il a l’impression de traverser de longues distances en un instant et son contraire. Les évènements s’enchaînent sans cohérence aucune, un instant il discute, rit, le suivant Morgan tue un homme, la course reprend, il chante, il hurle, a mal, il enfile des vêtements qui ne sont pas à lui, manque de s’endormir, son doigt tombe par terre, il rit, ils sortent de la planque de Thomas, il pleure, il a peur. Ah oui, ce doigt… ça n’a même pas fait mal, en fait. La douleur physique n’était plus là, c’était comme arracher une croûte ou casser un ongle, toute la peine était dans sa tête. Les phrases de Morgan passent à l’envers et dans le désordre dans sa tête, se mêlent et forment un courant sonore indigeste et incompréhensible.

Nauséeux, le presque mort ne se rattache à la vie, ne se résigne à sentir le froid morbide et le chaud irrationnel et inquiétant, ses plaies qui le pulsent et son sang qui coule, uniquement parce que Morgan le lui demande. Pas parce qu’il est son capitaine, pas parce qu’il est son aîné, pas parce qu’il lui doit le respect et la vie de bien manières. Non, juste parce que c’est Morgan, lui, tout. Parce qu’il est son binôme, son ombre, sa moitié aux yeux de tous mais surtout aux siens, parce qu’il a juré de toujours le suivre, l’accompagner, et qu’il a déjà fait preuve de lâcheté et de faiblesse, s’est fait parjure par peur et souffre maintenant plus de sa honte que de ses meurtrissures. Ses coudes se resserrent plus fort autour des épaules de Morgan, de son cou, ils tremblent. Pourquoi le félicite-t-il ? Il n’a rien fait, absolument rien, il n’est qu’une petite boule de honte, de tristesse, de peur, une pitoyable chose entre la vie et la mort, entre la raison et le délire, entre l’adulte et l’enfant, entre l’humain et le moins que rien.

- Je… je suis désolé… Articule-t-il faiblement de sa petite voix. J’ai… j’ai menti… J’ai failli… te trahir…

Sa voix est chevrotante et étouffée, comme coincée au fond de sa gorge. Mais il se met à sourire exagérément, ouvrant de grands yeux brillants et aveugles, sa voix pleine d’un espoir et d’une joie désespérée, une passion brûlante et douloureuse, une supplication odieuse, un chantage affectif, un entrain grotesque.

- Mais je vais vivre ! D’accord ? Je vais vivre et on fera comme c’était avant ! Tu vas oublier ! Tu vas me pardonner ! N’est-ce pas ? Il se ramasse alors sur lui-même, tremblant, murmurant à nouveau à l’oreille de son alter ego. Je vais vivre, je te le promets.

Et le quartier-maître sent son meilleur ami déambuler dans la ville entre divers obstacles et cachettes, se glisser dans les ombres, à la lumière de la lune, filant comme le vent, en un sifflement, un courant d’air, tels les spectres qu’ils sont. Adam respire de plus en plus fort, aussi bien par besoin et pour se maintenir éveillé que pour assurer à Morgan qu’il est encore en vie. Il s’étonne à se sentir rassuré d’entendre le bruit des vagues, le bruissement des voiles repliées, les grincements du bateau… il n’aurait jamais pensé pouvoir reconnaître le crissement du mât de misaine, de la roue de navigation… Mais il le sait, ils sont près de leur bateau, le Black Sails est tout proche et les appelle. Adam se contente de hocher la tête quand Morgan lui adresse de nouvelles paroles et se sent soulagé alors qu’il grimpe le long d’une corde. Il n’a pas à serrer les dents, il est maintenant trop fatigué pour avoir mal et cette ascension est une partie de plaisir après l’escalade de la cheminée. Il sent son meilleur ami se hisser dans un dernier effort par-dessus le bastingage et poser les pieds sur le plancher du navire.

Il n’a pas besoin de réfléchir pour savoir où se précipitent les pas alarmés du capitaine. Il se serait d’ailleurs bien passé du brusque enfoncement de la porte qui le fit grimacer presque autant que le nom hurlé du locataire de l’infirmerie. Il n’a pas le temps de trouver Morgan ridicule, plus paniqué que jamais alors qu’ils sont plus en sécurité qu’à aucun autre moment, et se découvre quelques haut-le-cœur à chaque secousse et hurlement. Il se mord la langue quand Morgan le dépose un peu brusquement sur la table et suit vaguement l’échange entre les deux interlocuteurs. Sa tête lui fait si mal alors que la voix de Morgan percute violemment ses tympans qu’il meurt d’envie de crier à son tour pour lui dire de se taire, qu’après cette lugubre balade il ne se laissera pas crever dans l’infirmerie !

Et pourtant, alors que les deux valides sont pris dans leur discussion courtoise et manquent d’en venir aux mains, au grand dam de Stephen sans aucun doute, l’estropié est le seul à sentir un nouveau courant d’air, entendre des pas lourds et percevoir la nouvelle présence qui pénètre dans la pièce et ne manque pas de le rassurer plus encore. La voix d’Adrian, ferme et avec son accent marqué, résonne dans la petite infirmerie et bientôt le calme est de retour, tout le monde est en quelque sorte apaisé. La main de Morgan glisse sur la sienne et les yeux d’Adam fixent sa vague silhouette en souriant.

- Mais oui, arrête de t’inquiéter… Et dépêche-toi de nous faire filer d’ici, on aura tout le temps de discuter quand on sera loin.

Le Second sourit à son Capitaine jusqu'à ce qu'il ait quitté l'infirmerie et se met soudainement à tousser, s'étouffant à demi et se demandant vaguement quand est-ce qu'il se mettra à vomir du sang. Il laisse Stephen s'approcher et s'attarder sur lui. Il se laisse tranquillement défaire des vêtements qu'il porte et ne fais de commentaire sur la position dans laquelle il se retrouve puisque de toute façon, sur le dos ou sur le ventre, il a mal. Il n'a pas besoin d'être capable de voir pour deviner l'air soucieux du docteur qui ne doit pas savoir par où commencer. Il étire un rictus faussement amusé.

- Désolé, je pars avec une balle dans le pied et une belle estafilade puis je reviens dans le même état que certains de tes cadavres !

Il ricane et s'étouffe à nouveau, affichant un sourire qui se veut rassurant.

- Vas-y franchement, tu risques pas de me faire plus mal.













The Huntmaster

Adrian était sur le pont du navire, accoudé au bastingage de la proue, les sourcils froncés en regardant le soleil levant alors que ses boucles de paille étaient ballotées par le vent en se demandant où étaient passés ses deux vieux amis quand il avait entendu du remue-ménage aux alentours. Il s'était retourné et avait vu une bande de pirates faire des allers et des retours entre les ruelles de la ville portuaire. Il n'avait pas eu le temps de se demander ce qui se passait qu'il avait entendu des pas sur le plancher et, un clignement d'yeux plus tard, Morgan filait vers l'infirmerie avec Adam sur son dos. Il avait marché plus ou moins posément, près à les engueuler comme deux gosses fugueurs en dépit de leur âge et statut hiérarchique, jusqu'à l'infirmerie et avait ouvert la porte doucement.

Mais maintenant qu'il est entré dans la petite pièce, sa colère lui est passée, remplacée par un étonnement soudain et une peine sincère, pour ne pas dire de la peur. Il ne peut détacher ses yeux d'Adam, observant ses mains mutilées et désarticulées, ses genoux qui sont loin d'avoir un angle naturel et les brûlures autour de ses yeux. Il doit pourtant détourner le regard vers Morgan alors qu'il hausse la voix et saisit fermement son poignet alors qu'il s'apprête à s'en prendre à leur médecin, accessoirement le seul espoir du quartier-maître et il doit très bien le savoir. Il l'entraîne à l'extérieur et se montre patient quand le capitaine veut faire preuve d'une dernière marque d'affection, il écoute avec attention les mots qu'ils échangent et fronce les sourcils et les lèvres en une moue perplexe avant d'emmener Morgan au grand air pour de bon. Arrivé dehors, il hausse le ton pour faire porter sa voir.

- Bobby ! Environ deux secondes après le mousse émerge de la cale. Déferle les voiles, on s'occupera du cabestan après, dépêche-toi !

Et sans un mot, le jeune marin file vers l'un des mâts après un hochement de tête et se met à escalader les filets pour atteindre les grands draps qui les feront filer vers le lointain. Adrian lui-même rejoint l'un des mâts et l'imite. Ce doit être un spectacle à la fois ridicule et étrange pour Morgan que de voir deux hommes s'occuper seuls du déploiement du Black Sails et le maître d'équipage grimace, doit-il tout de suite annoncer la nouvelle ? Oh, tant pis, oui. De toute façon Morgan est loin d'être stupide, il doit déjà se poser des questions.

- Je serais toi, je m'activerais aussi. Après notre triste épopée les rares survivants se sont rappelés que notre bateau est maudit. Ils ont tous profité de votre disparition pour déserter, sauf Bobby et Stephen. Il continue de défaire les nœuds qui retiennent les voiles mais baisse la tête, amer. Je n'ai pas pu les empêcher, je suis désolé.

Adrian soupire de dépit et repense à Adam, dans un état presque aussi lamentable que celui du Black Sails. Oui heureusement, qu'ils sont encore là, eux, surtout Stephen. Encore qu'il ne peut s'empêcher de respecter le jeune mousse qui hier encore doutait de sa loyauté à cause de sa peine, une chance qu'Adam l'ait consolé sinon l'équipage aurait eu l'air encore plus diminué. Ses grimaces redoublent quand il repense à ses deux amis, même Morgan fait peine à voir avec ses vêtements en lambeaux. Il aurait dû les accompagner aussi, il s'était répété pendant deux jours que ce Samoth lui laissait une impression perturbante, quelque chose d'à la fois familier et dérangeant. Il n'avait absolument pas fait confiance au faux capitaine qui s'était présenté à eux et aurait filé à la taverne s'il n'avait pas eu une mutinerie à gérer et un bateau à surveiller. Plus tard, le mal était déjà fait. Il s'en voudra probablement toute sa vie si elle daigne durer encore.

Relevant les yeux, il fixe Morgan avec curiosité, plutôt un besoin maladif de savoir, d'avoir la réponse à toutes ses questions, celles qui le hantent depuis deux jours et encore plus depuis dix minutes. Qu'est-ce qui s'est dit pendant cette discussion ? Qu'est-ce qui est arrivé ensuite ? Où étaient-ils ? Pourquoi sont-ils dans cet état ? Pourquoi doivent-ils fuir ? En une question comme en cent.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?











The Huntmaster


Continuer d'avancer sans s'arrêter n'est plus seulement une évidence, c'est devenu une question de survie, une question de futur! Morgan ne peut pas se permettre de ralentir, ses pieds ne doivent pas cesser de se mouvoir, se battre, profiter d'un bref souffle de vent ou même penser ne serait-ce qu'à se faire plus doux pour limiter les douleurs du fragile colis qu'il transporte ne sont plus des options. Et ce fragile colis, tremble, se serre, respire lourdement, à peine, avec peine. Adam... Sa voix avait l'air si déboussolée, si triste alors qu'il entonnait encore les douloureuses paroles d'une chanson visant uniquement à l'empêcher de s'endormir et de sombrer peut être une bonne fois pour toute dans le sommeil. Mais maintenant qu'il s'est arrêté, entendre le souffle rauque étouffé par le sang et la salive sont presque une torture en comparaison aux paroles déprimantes de la chanson. Ce silence est lourd, désagréable, plein de tension et de crainte. A chaque pas, l'immortel se demande s'il ne va pas entendre brusquement la respiration de son meilleur ami ralentir et finalement s'arrêter. Et puisqu'il ne peut pas sentir le souffle chaud contre sa nuque, ce bruit et le seul qui soit encore capable de le rassurer un peu.

Concentré sur sa course, le regard rivé droit devant lui, le Capitaine maudit s'efforce de ne pas tourner la tête alors que la voix d'Adam raisonne à nouveau, faible et lointaine, presque aiguë, son ton est étrangement vaseux, comme lorsqu'on a trop bu ou qu'on est en proie à la drogue et qu'on est sur le point de s'endormir, ou plus gravement de sombrer dans l'inconscience. Morgan fronce les sourcils alors qu'il comprend pourquoi son Quartier-maître et presque frère cherche à s'excuser... mais l'ainé ne veut pas y penser, il refuse de revoir la gorge d'Adam glisser au ralentit sur cette lame pour chercher à mettre fin à ses jours, il refuse d'admettre qu'il a pu faire ça. Oui, il lui en veut, oui, il est en colère, même si vouloir mourir était sans doute légitime après avoir autant souffert, mais Morgan est trop égoïste pour le comprendre. Sa main se crispe un peu sous les jambes du grand blessé et il se mord les lèvres... heureusement qu'Adam ne peut pas le voir, il s'en voudrait surement plus encore.

- Dis pas ça... c'était une erreur c'est tout... c'est pas ta faute... c'est pas ta faute... Murmure-t-il gravement.

Mais le Second ne s'arrête pas là, il continue de parler encore et encore et le pirate ignore ce qui est le plus dur... ces mots emplies d'un espoir désespéré ou son ton utopiste auquel il semble à peine croire mais qu'il souhaite désespérément, comme un enfant qui aurait fait une bêtise et qui voudrait que le pardonne.

- Y a rien à pardonner, tu le sais... Alors arrêtes de parler, gardes tes forces et... et tout ira bien... Sa voix se coince dans sa gorge en un sanglot réprimé. Je te fais confiance... je t'ai toujours fais confiance... tu vas vivre...

Raison de plus pour accélérer le rythme, encore et encore. Morgan est transporté par son désir de sauver son presque frère, c'est devenu le seul et unique but de son existence. L'immortel a tout oublié, l'abordage chaotique, Thomas, la torture... jusqu'à Nimwe... Il n'y a plus qu'une seule et unique pensée qui l'occupe: "Sauver Adam" et pour ça il a besoin de retourner au Black Sails, le Black Sails tout proche alors que le duo arrive enfin au port après une longue et laborieuse course dont il ignore totalement la durée. Échapper aux hommes du Bloody Mary n'était pas une mince affaire dans la foret, le bruit des feuilles, des branches qui craquent, le silence morbide de la nuit. Arrivé près de la ville c'est beaucoup plus facile de disparaître. Les ruelles sont nombreuses, les entassement de caisses aussi. Le bruissement des vagues est puissant lorsqu'il s'écrase sur les coques de bois qui craquent. Les mats grincent, les voiles s'entrechoquent, le vent souffle fort près de l'eau, autant de brouhaha suffisant pour camoufler les bruits de pas sur les pavés.

Morgan parvient rapidement jusqu'à son navire, vraisemblablement encore en piteux état. S'accrochant à un bout, il escalade la coque avec Adam sur le dos, ça lui semble tellement facile après tout ce qu'ils ont traversé. Et une fois sur le pont du navire, personne. Le silence. La solitude. Mais le Capitaine ne s'en préoccupe pas le moins du monde, pour l'heure il n'a pas encore atteint sont objectif, et plus il s'en rapproche, plus il semble au bord de la crise de panique. Comme si une terreur profonde lui soufflait que son meilleur ami pourrait rendre l'âme ici et maintenant après avoir survécu si longtemps.

Le pirate tente de rassurer aussi souvent que possible le grand blessé qui gît sur son dos en lui répétant qu'ils ont réussit, qu'ils sont arrivé au bout de leur périple qu'il va enfin pouvoir être soigné, mais finalement c'est peut être surtout lui qu'il cherche à convaincre car lorsqu'il pousse dans un grand fracas la porte de l'infirmerie, Morgan ne se retient pas pour hurler sur le pauvre Stephen qui n'a rien demandé à personne. Agressif et impatient, mais par dessus tout, complètement apeuré, le Capitaine presse son médecin de bord pour que celui ci s'occupe de soigner Adam, mais il ne va pas assez vite à son gout, prend beaucoup trop de temps à observer son corps mutilés en tout sens, ce n'est pourtant pas compliqué non?! Adam est blessé sur environ quatre-vingt dix-neuf pourcent de son corps, pourquoi reste-t-il là comme un abrutit à le regarder bêtement?! Il veut le laisse mourir c'est ça? Il pense que c'est trop tard pour lui et préfère encore le laisser s'en aller rejoindre les dieux?! C'est vrai que sont état est critique, mais il n'a même pas essayé de tenter quoi que ce soit alors pourquoi abandonner aussi vite??! Non, non jamais il ne le laissera mourir, pas maintenant, pas après tout ce qu'il a enduré, par après les promesse qu'il lui a faite! Il va vivre, il DOIT vivre!

Morgan se jette sur Stephen pour le menacer, lorsque celui ci lui demande de le laisser seul à seul avec le patient... c'est ça oui! Pour que tu le regarde ou pire encore que tu l'aide à crever pour abréger ses souffrance?! C'est toi qui va crever si tu t'occupes pas de lui tout de suite et maintenant c'est moi qui te le d... ET LUI LA QU'EST CE QU'Y VEUT!

Adrian est arrivé au bon moment heureusement et à empêché Morgan de faire la pire ânerie de tous les temps... tout ça alors qu'Adam encore conscient les entendait surement. Le vétéran parvient à calmer son vieil ami qui se laisse finalement entrainer à l'extérieur de l'infirmerie pour que Stephen puisse commencer son travail. Sur le pont vide du Black Sails, Morgan à l'impression d'avoir vu se fermer la porte d'une prison devant lui. Adam et Stephen son tous les deux seuls dans l'infirmerie et aucun bruit ne semble en sortir. Le vent souffle dans les boucles brunes du pirate qui perd peu à peu ses traits de cadavre embuant alors que l'aube brille d'une lueur rose pale à l'horizon. Comme un chien attendant le retour de son maître avec impatience, il fixe la porte sans même cligner des yeux avec une impatience et une inquiétude terrible, ne se préoccupant pas vraiment de Bobby qui débarque de la cale pour commencer à déployer les voiles du Black Sails sous les ordres d'Adrian. Et ce n'est que lorsque le Maître d'équipage lui demande de se bouger un peu qu'il commence doucement à se demander pourquoi l'équipage n'est pas à son poste comme ça devrait être le cas, pourquoi le bateau est loin d'être entièrement réparé et pourquoi diable est-ce qu'un mousse s'occupe seul de déferler les voiles?!

Incrédule, il faut un petit temps d'adaptation à Morgan pour comprendre que son équipage entier à déserté... enfin... presque entier, il lui reste trois hommes sans compter Adam...trois homme dont un médecin et un jeune inexpérimenté... ça ne fait pas beaucoup. Partit. Ils sont tous partit... est-ce que la situation pouvait seulement être encore pire? L'immortel est déboussolé. Les bras ballant le long du corps, il regarde Adrian et Bobby s'occuper à deux tu travail d'au moins dix hommes. Le Maître d'équipage à l'air tellement désolé... sans doute pas autant que son Capitaine, mais le voir aussi mal à l'aise à au moins le mérite de forcer Morgan à le rejoindre sur le mat principal pour l'aider à déferler la Grand voile.

- C'est pas grave... Murmure-t-il, un sourire triste aux lèvres. Tu n'y pouvais rien... t'as fais de ton mieux.

Il grimpe aux haubans, et s'approche des nœuds pour commencer à les défaire à son tour. Tout ce passe dans un silence de mort jusqu'à ce qu'Adrian curieux ne se décide à poser la question que redoutait tant le Capitaine maudit. "Qu'est-ce qui c'est passé." Morgan continue de s'activer, mais baisse la tête, n'osant pas planter son regard dans celui de son vieil ami... il sait déjà que ce qu'il s'apprête à lui dire ne vas pas lui plaire...

- Ce... ce... C'était Thomas... Commence-t-il d'une voix blanche avant de finalement poser des yeux débordant de remord vers Adrian. Samoth... c'était Thomas... Il a survécu au marronnage et n'ayant visiblement pas apprécié son séjour sur une île déserte, il a décidé de se venger... Il se déplace vers un nouveau nœud. J'aurais du empêcher Adam de me suivre... il n'avait rien à voir dans cette histoire, s'il n'avait pas été là c'est moi que Thomas aurait torturé... et il aurait été bien baisé ce salopard... Rajoute l'immortel d'une voix virulente. C'était... Et son regard se voile, comme près à fondre en larme, la tête basse. Incompréhensible... il l'a complètement détruit. Sa main tremble sur le nœud qu'il défait. Et moi j'ai RIEN PU FAIRE! Rage Morgan en frappant sur l'armature de bois qui soutien la voile.

Oui, Morgan se sent terriblement coupable d'avoir impliqué son meilleur ami dans cette querelle, ce règlement de compte qui ne le concernait pas le moins du monde. Il 'n'aurait jamais du subir tout ça... et dire que le Capitaine à tout vu mais qu'il était seulement contraint de regarder, incapable de faire quoi que ce soit pour faire stopper cette horreur.

- C'est de ma faute Adrian... Gémit péniblement Morgan en s'accoudant sur la voile pas encore dépliée pour enfoncer sa tête dans ses mains. J'aurais du le tuer il y a quinze ans et rien de tout ça ne serait arriver!!!











The Huntmaster


Le cœur d'un médecin doit être solidement accroché s'il veut pouvoir s'occuper de n'importe quel patient... et Stephen en a vu des blessures terrible... il a vu des membres arrachés, il a vu des plaies horriblement infectées, il a vu des corps entièrement couvert de sang, il a vu des entrailles sorties de leur cage thoracique, des visage défigurés... mais il ne s'attendait certainement pas à devoir assister à un florilège d'un peu tout ces cas en même temps... surtout pas sur la personne d'Adam. Son état est des plus impressionnant, c'est à se demander comment il ne s'est pas vidé de tout son sang avec autant de plaies béantes. C'est préoccupant... vraiment préoccupant, et pour couronner le tout, il est entièrement seul. Personne pour maintenir Adam immobile, personne pour l'assister en cas de besoin, il aurait pu demander à Morgan si celui ci n'avait pas essayé de le tuer une minute plus tôt sous le coup de la panique et de l'impatience... comment lui en vouloir?! Mais non... vraisemblablement, il ne peut pas lui faire confiance sur ce coup. Adrian s'occupe de Morgan, et puis il va certainement aussi avoir beaucoup de boulot à l'extérieur... et Bobby... Bobby a encore du mal à tenir debout sans être malade quand il y a un peu d'agitation alors devant un corps dans cet état ce n'est même pas la peine d'y penser. Et puis il ne sera pas de trop pour aider ses supérieurs. Oui... le médecin est définitivement seul.

- Même si tu dois faire partie des plus beaux... j'ai assisté à des cas bien pire que le tien je te rassure... Ment Stephen dans un petit sourire qui se veut rassurant.

Lunette sur le nez, il gauge chaque blessure précautionneusement, c'est terrible, qui a bien pu lui faire ça?! les plaies ne sont pas particulièrement profonde, mais il y en a tellement! Et elles évitent toutes les organes vitaux. Celui qui a infligé ces blessures à Adam ne voulait pas le tuer... il voulait le faire souffrir. Et puis certaines ont commencé à s'infecter. les os cassés sont déjà plus préoccupant... que soit ceux de ses doigts ou de ses genoux... les gonflements à l'un de ses poignet montre qu'il doit au moins avoir une entorse à cet endroit... espérons juste qu'il ne s'agisse pas d'une hémorragie interne. La brulure autour des yeux du Quartier-maître n'est pas trop grave, la peau  guérira mais les globes semblent bien abimés. Et enfin, le plus grave, les trous dans chacune de ses paume et le majeur arraché dont l'os à sa base ressort encore. La plaie est déjà noire, jaune et brune, preuve qu'elle c'est infecté, il va certainement falloir amputer un peu plus loin pour éviter que la main ne se gangrène. Adam est allongé sur le dos mais Stephen à également vu les marque de lacération au niveau de ses omoplate et bien sur, il y a ce marquage au fer sur sa poitrine qu'il va falloir désinfecter rapidement. Tant de travail... et sans doute peu de temps, d'autant plus que même si Adam soutien le contraire, Stephen ne veut pas faire plus de mal à son supérieur mais néanmoins camarade.

- Je vais faire de mon mieux pour te remettre sur pied Adam, je te le promet!

Il sort une bouteille de Rhum d'un placard et tend le goulot vers les lèvres d'Adam pour que celui ci boive.

- Ne me force pas à te le faire avaler avec un entonnoir... lance-t-il un peu moqueusement pour détendre l'atmosphère. Tu verras ça va te faire du bien...

Et c'est bientôt le début des premier soins. D'abord... nettoyer les plaies... et il y en a tellement que ça revient presque à faire prendre un bain entier à Adam. Stephen récupère de l'eau claire et un torchon et la verse doucement sur les plaies pour tapoter tranquillement avec le morceau de tissu. l'eau est assez chaude pour tuer certains microbes, mais pas assez pour bruler le patient. Le corps d'Adam est entièrement nu et le médecin s'applique à agir avec douceur. la plupart des plaies sur le torse se nettoient assez bien et les marque de couteau deviennent plus roses, ça rassure un peu le docteur mais c'est loin d'être fini. La grande marque qui barre le cou du Second est un peu plus profonde que les autres, mais elle ne c'est pas infecté non plus, m'enfin... elle laissera tout de même une belle cicatrice. Stephen est également soulagé de voir que sur certaines plaies, lorsqu'il frotte un peu avec le chiffon, les saleté noires s'en vont assez facilement , ce qu'il aime moins c'est que certains résidu de poussière se sont logées à l'intérieur d'autres... pas le choix, il faut frotter plus fort sur celle là pour faire partir la saleté et éviter une infection, c'est le cas de la grosse brulure en forme de justice aveugle.

- Je vais devoir te tourner pour m'occuper de ton dos...

Stephen transpire déjà et pourtant il n'a même pas encore commencer à désinfecter. Il attrape délicatement Adam par une épaule et la hanche pour le faire pivoter sur le côté et ainsi... bon sang... c'est vraiment affreux. Pour l'instant Stephen à du changer deux fois de chiffon, il caresse les plaies plus profonde laissées par le martinet, certaines on encore des morceau de tissus collé à l'intérieur et il doit les enlever avec une petite pince. Ces blessures là sont bien plus dur à nettoyer, d'une part parce qu'il doit tenir Adam pour l'empêcher de basculer d'un côté ou de l'autre, d'un autre parce qu'il y vois mal, et enfin parce que les plaies suppures et recommencent à saigner. Il lui faut un long moment et deux chiffons de plus pour en venir à bout et peu s'attaquer au plaies plus importante.

De temps en temps il s'arrête pour proposer du Rhum à Adam ou lui laisser le temps de se remettre, et enfin, il verse un peu d'eau sur les plaies de ses mains et le petit bout du majeur encor présent sur la main. Mais ne nous faisons pas d'illusion... ce n'est pas en désinfectant qu'il s'occupera le mieux de ça. Finalement les trou dans les paumes se sont plutôt bien nettoyés et Stephen peut enfin passé au brûlure sur son visage.

- Ferme les yeux...

Nouveau chiffon et rebelote, mais cette fois ci, une fois qu'il a terminé, il applique immédiatement un ongant au niveau des brulures et dépose le chiffon humide sur ses yeux pour l'y laisser. Stephen soupire, se redresse, rallonge Adam sur le dos et verse encore un peu d'eau sur les genoux et les mains du grand blessé pour nettoyer les endroit qu'il va manipuler. Enfin, il passe une main sur son front en sueur... et dire que ce n'est que le commencement...









The Huntmaster

Il faisait froid dehors, le vent soufflait sur sa peau mise à nue, à l'intérieur-même de son corps meurtri, ouvert. Ses sueurs froides perlaient sur toute sa carcasse, ses tremblements faisaient claquer ses dents, sa fièvre décuplait la sensation glaciale de cette transpiration et de ses larmes qui contrastaient avec son épiderme brûlant. Le pardon de Morgan ne l'avait pas réchauffé non plus... Il ne l'avait d'ailleurs pas pardonné, prétendant que ce n'était pas nécessaire. En effet, il n'est pas nécessaire de mentir.

En fait, Adam sait qu'il ne fait pas froid dehors. C'est la mort qui est froide. Même maintenant, dans l'infirmerie, sauvé de l'extérieur, il est frigorifié. La mort l'enlace, le désire, il l'attire, elle le trouve beau, elle est tombée sous son charme après qu'il l'ait tant de fois courtisée. Tel l'amant qui se fait proche et suave, qui fait monter le désir et s'en va, disparaît brusquement, frustrant et tourmentant sa maîtresse, il a su la séduire et la rendre dépendante. Alors, elle a su mettre toutes les chances de son côté pour inverser les positions, elle a su se rendre plus désirable que jamais, se parant de ses plus beaux atours pour attirer le vicieux amant dans sa toile et le subjuguer à tout jamais. Ne sont-elles pas belles, ces promesses, ces caresses ? Froides, certes, mais pas plus que le pardon refusé. Froides, certes, mais menant au repos à la sérénité. Oui, plus que jamais, il veut la découvrir, la dévoiler, voir ce qui se cache sous ses jupons, ne faire plus qu'un avec elle...

- Ça doit être une belle vue...

Ce n'est pas à Stephen qu'il parle.

Il ne lui répond pas non plus quand il lui promet de tout faire pour qu'il se rétablisse. Faire de son mieux hein... Mais est-ce que ça va suffire ? Est-ce que Stephen en est capable ? Est-ce que son corps est physiquement en état d'être rétabli. Mais si ça te fait plaisir Stephen, fais de ton mieux, fais en sorte d'avoir la conscience tranquille. Il redresse un peu la tête et s'appuie sur ses coudes pour courber le dos.

- Cette fois je ne cracherai pas dessus et tu n'as pas trop à t'inquiéter ça ne risque pas d'être pour sortir... Dans l'immédiat j'imagine que personne n'a besoin de mon esprit, si tant est qu'il soit en bon état...

Il laisse le médecin porter le goulot à ses lèvres et avale d'une seule traite de nombreuses gorgées sans vraiment grimacer. Il expire longuement en écartant la bouteille de sa bouche et s'allonge de nouveau. Son arôme fort et brûlant envahit déjà sa bouche, ses papilles, il sent sa piquante chaleur s'échapper de sa gorge et de son nez à chaque respiration, il sent le liquide couler le long de son œsophage, choir dans son estomac, se répandre à l'intérieur de son corps, dans son foie, il sent ses effluves embrumer ses yeux meurtris, brûler ses voies respiratoires et atteindre sa cervelle. Au bout d'à peine quelques minutes, son corps lui semble apathique, endolori, lourd, lent. Il n'a pas mangé depuis... combien de temps au fait ? Et il a perdu tellement de sang...

Stephen s'empresse alors de le laver, de nettoyer toutes ses plaies. Agit-il vraiment comme le docteur qui s'apprête à s'occuper de son patient ou bien tel le croquemort qui rend la dépouille présentable pour la cérémonie ? On pourrait aussi bien être en train de lui donner l'extrême-onction. Toutes cette eau dont on se sert pour le nettoyer... ne serait-ce pas celle qu'il a volée dans ce pillage deux ou trois jours auparavant ? Ils pourront bien refaire leurs stocks à une prochaine escale mais... est-ce qu'il mérite qu'on fasse tout ce gâchis pour lui ? Est-ce qu'il ne doit ce traitement de faveur qu'à son grade, son amitié avec Morgan ? Oh, ils ne sont plus beaucoup, mais est-ce qu'il ne leur rendrait pas service en se laissant sombrer dans l'inconscience dans laquelle l'invite la mort et le pousse l'alcool ? Une bouche de moins à nourrir, plus de rations pour les survivants, ce genre de choses... et pour lui, ces horizons attirants, au-delà de la ligne.

- Mais il ne pourra jamais les admirer...

Les soins de Stephen sont aussi doux que possible, mais il semble qu'il doive parfois se faire moins attentionné, il frotte plus fort les plaies les plus profondes et sales. Adam se met à grimacer à de nombreuses reprises, par intermittences, se tordre d'une douleur légère, une sensation dérangeante. Est-ce à cause du traitement que lui inflige le médecin ou des pensées douloureuses qui lui traversent l'esprit,des images confuses et déformées par l'alcool qui se glissent sur ses globes oculaires aveugles ? Il gémit doucement, serre les dents, il transpire autant que Stephen. Il veut que tout ça s'arrête... Non il ne le veut pas... Il n'en a pas le droit... Il boit une nouvelle gorgée de rhums, ni la seconde ni la dernière. De quel droit lui a-t-on retiré celui de disposer de sa vie comme bon lui semble ? Non... Il s'en souvient. On ne lui a pas prise... Il l'a donnée...

« Ferme les yeux. »

Il ferme les yeux.

Pourquoi ? On lui passe un onguent autour des paupières, on lui pose un linge humide sur l'arrête du nez pour obstruer sa vision. Complètement nu, inerte, brisé, les yeux couverts et clos, il ressemble à un cadavre plus que jamais. Son esprit trempe dans une grande bassine de rhum et s'évapore doucement, se liquéfie, sa conscience semble s'effacer au même rythme qu'il revêt l'apparence du corps qu'on va sceller dans une boîte à jamais. Il se fait remettre sur le dos et entend le soupire de Stephen. Son sang ne fait qu'un tour, il se redresse d'un coup, douloureusement, et saisit le col du médecin de ses trois doigts valides, rapprochant son visage du sien et le forçant à plonger ses yeux dans les siens dissimulés par le tissu opaque.

- Écoute-moi bien ! Je suis vivant ! J'ai survécu jusqu'ici ! Je suis vivant et je compte bien le rester ! Je vous emmerde tous ! Toi ! L'autre connard ! Tous ! Je vais me relever et me pavaner devant tout le monde, insolemment et montrant à tous que je suis en vie ! Je vais pas l'abandonner ! C'est ma victoire !

Le silence règne, troublé par la respiration haletante d'Adam qui vient de jeter ses dernières forces dans ce hurlement, il pourrait tourner de l’œil d'un moment à l'autre, le ligne est maintenant légèrement en biais, dévoilant une pupille bleue dilatée, tremblante et en colère, déterminée, il est plus livide que jamais. Encore une fois, il ne parlait pas à Stephen. Il se laisse doucement retomber en arrière et remet le tissu humide en place, reprenant doucement son calme.

- Désolé, c'était pas contre toi. Fais ce que t'as à faire, t'inquiètes pas pour moi.

Le tonnerre, ou quelque chose de semblable, retentit, le Black Sails semble agité, tremblant, de peur ou d'excitation.

- On ne va pas être les seuls à souffrir cette nuit.













The Huntmaster

Accroché à un mât, Adrian dénoue les fils automatiquement, sans y penser, sans réfléchir, par simple habitude, presque pour s'occuper les mains. La tête basse, les yeux fixés sur ses genoux mais ne les voyant pas, il est perdu dans ses pensées, ses remords. Il n'a pu en empêcher aucun de partir... absolument aucun... Il n'a pas pu empêcher Morgan de se rendre à ce rendez-vous, il n'a pas pu empêcher Adam de le suivre, il n'a pas pu les accompagner... Il n'a pu empêcher personne de quitter le Black Sails ; Stephen n'avait pas l'intention de déserter, c'est Adam qui a fait disparaître la rancœur et la peine de Bobby. Il a été inutile.

Il se tourne vers Morgan qui le console vaguement mais vit bien son désarroi, même s'il sait qu'il ne lui en veut absolument pas. Loin d'Adam, il est rare de le voir sourire. Pas de joie sincère en tout cas. Et ce sourire-là n'est pas beau à voir, triste, résolu, abandonné. Et malheureusement pour lui, Adrian n'est pas des gens à vous réconforter en vous prenant dans ses bras, pas quand vous êtes un homme et que vous êtes adulte, encore moins quand vous avez son âge. Mais la curiosité, malsaine peut-être, le ronge, il veut savoir. Qu'est-ce qui s'est passé pendant cette entrevue ? Qu'est-ce qui est arrivé à Adam pour qu'il soit dans cet état ? Et entendant le début de la réponse de Morgan, Adrian fronce les sourcils et lève brusquement la tête dans sa direction, livide.

- Th... Thomas ? Quoi Thomas ?! Bégaye-t-il.

Thomas... il ne l'a jamais oublié, comment aurait-il pu ? Mais pourquoi en parle-t-il maintenant ? Lui qui a tout fait pour l'oublier à peine avait-il été abandonné à son triste sort ? La réponse est évidente mais Adrian refuse de faire le rapprochement, c'est impossible, incroyable. Et pourtant la vérité le frappe de plein fouet quand il voit l'expression désabusée, le regard fou, de Morgan. La suite des explications est superflue.

Le capitaine semble tellement empli de regrets, la malheureuse confrontation de son ancien et actuel compagnon, il s'en désigne comme le seul coupable, comme s'il avait orchestré tout ça. Alors qu'il n'y peut rien, c'est un malheureux hasard... ou presque, le nœud du problème est peut-être bien en partie de son fait, mais il y a tant d'autres facteurs qui ont joué... se jeter la pierre pour cette tragédie revient à porter le monde sur ses épaules, c'est une réaction exagérée mais en même temps tellement logique...

- Non Morgan, ce n'est pas ta faute et tu le sais. Tu ne pouvais pas l'empêcher de venir, il ne t'a pas demandé ton avis, il est venu de lui-même, sans t'en demander la permission, il s'est imposé et tu ne pouvais rien y faire. J'avais aussi des doutes sur ce Samoth mais je ne l'ai pas découragé dans son idée, justement parce que je pensais que c'était une bonne initiative. Personne n'aurait pu prévoir ça. Et puis tu l'as sauvé, j'imagine que Thomas ne vous a pas juste laissé partir après s'être défoulé sur lui...

Il se rapproche de lui avec le prétexte de déplier la voile sur laquelle il s'est accoudé.

- Ce n'est pas ta faute... Et oui, si tu l'avais exécuté il y  a quinze ans tout ça ne serait jamais arrivé, pas même dans nos pires cauchemars. Mais ce n'était pas la solution, une foule d'autres choses se seraient peut-être passées différemment et notre situation d'aujourd'hui serait sans doute bien différente... Et même si ça n'avait changé qu'un insignifiant détail, tu sais... Si tu l'avais tué il y a quinze ans, aujourd'hui, nous serions tous morts à part toi et le Black Sails serait une épave entre les mains de la Marine ou de quelques corsaires.

La voile se déroule enfin et se laisse mollement gonfler par le vent, attendant d'être tendue.

- Et puis tu sais... Tu vas peut-être m'en vouloir. Je ne lui pardonnerai jamais ce qu'il a fait à Adam mais... je suis content de savoir qu'il est en vie.

Il repense au jeune homme qui a un jour été son ami, à ses yeux brillants d'aventure, d'ambition, parfois de bonheur simple, et qui a été progressivement gagné par l'amertume. Quant à l'incident qui a conduit à son marronnage, Adrian n'a jamais su quoi en penser et ne s'est jamais prononcé, incapable de faire un choix entre ses deux amis, ses deux camarades et protégés. Il n'était ni assez d'accord avec Morgan pour le soutenir, ni assez du côté de Thomas pour descendre du bateau avec lui. Mais il a toujours regretté de ne pas voir empêché Morgan de passer à l'acte.

Le silence règne sur le bateau doucement en train de prendre le vent jusqu'à ce qu'une détonation ne retentisse, suivi du bruit sourd de quelque chose qui plonge brusquement et lourdement dans l'eau, percutant sans dommages la coque meurtrie du brick. Un regard au loin laisse entrevoir un bateau qui se rapproche d'eux et qui vient de les canonner, jetant sur eux une nuée de boulets rouges qui viennent de manquer leur cible de peu. Aucun doute, un navire avec une puissance de feu et une portée aussi terrifiante ne peut être que le Bloody Mary.

- On s'active ! Morgan, prends la barre ! Bobby, tends-moi ces voiles et va armer des canons, on sait jamais !

Adrian glisse le long du mât après avoir donné ses ordres. Il ne s'en veut même pas d'avoir dit à Morgan quoi faire, le temps presse et vu l'état dans lequel il se trouve il vaut mieux prendre des initiatives. Des initiatives réfléchies. Le maître d'équipage a l'impression d'avoir fait un bond dans le passé, comme à l'époque où il le conseillait, lui et son désormais revanchard collègue. D'un saut, il arrive sur le pont et se met à actionner le cabestan seul, de toutes ses forces, pour remonter l'ancre. Quelle situation désespérée, quel récit fou, le Black Sails plein de cinq personnes, piloté par trois marins. Le Black Sails qui fuit. C'est un coup terrible à leur orgueil, mais il faut parfois laisser de côté sa fierté et ses désirs de vengeance quand on veut survivre. Et alors qu'il pousse de toutes ses forces, les muscles bandés, les dents serrés, le visage rouge, Adrian perd ses yeux plissés sur le brick qui n'est encore qu'une silhouette au détour de l'île, se demandant si son vieil ami s'y trouve.











The Huntmaster


Adrian a toujours été bon avec son Capitaine, depuis le premier jour de leur rencontre, il lui a tout de suite voué une fidélité sans faille, même s'il était plus âgé que lui, plus expérimenté, il n'a jamais réclamé quoi que ce soit, s'est toujours appliqué à conseiller Morgan, à lui insuffler ses connaissances dans l'art de manœuvrer un bâtiment. Il a toujours été derrière lui, aussi loin qu'il se souvienne, l'a toujours soutenu... ou presque toujours. Le Capitaine maudit se souvient encore de cette conversation qu'il avait eu avec Adrian après avoir décidé seul d'abandonner Thomas sur une île déserte avec pour accusation une tentative de mutinerie contre lui. Adrian n'avait jamais été d'accord avec ce choix, il ne s'est pas gardé de lui faire savoir, mais Morgan ne l'a jamais écouté, n'a jamais montré une once de culpabilité d'avoir agis ainsi... en plusieurs longues années de camaraderie et d'entraide, c'était la première fois que le jeune Capitaine refusait d'écouter les conseils de son ainé.

Et aujourd'hui encore, Adrian devenu maître d'équipage à la demande d'Adam continue à se montrer généreux avec son fou de Capitaine, il s'applique à lui faire comprendre que rien n'est de sa faute, que si le Quartier-maître c'est imposé à cette histoire c'est parce qu'il avait pris cette décision de lui même, sans demander l'avis de qui que ce soit, un peu comme Morgan l'avait fait à l'époque. Mais pour le ruffian, ce n'est pas suffisant, les paroles d'Adrian ont beau déborder d'empathie et de désire de consolation, Morgan ne parvient pas à oublier sa culpabilité et à peine a-t-il terminé de lui exposer ses arguments, que le Capitaine l'empêche de continuer.

- JE SUIS SON CAPITAINE! SON SUPÉRIEUR ADRIAN! S'énerve Morgan, le regard déchainé. J'aurais du lui ordonner de retourner sur le Black Sails!! Au lieu de ça, je me suis contenté de faire profil bas parce que je ne voulais pas montrer notre désaccords à l'homme avec lequel je devais traiter...  Une histoire de fierté STUPIDE!

L'immortel se prend la tête dans les mains comme près à fondre en larme... mais aucune perle ne roule le long de ses joues. Il s'en veut tellement, jamais de tels regrets ne lui on broyé le moral, jamais de tels obstacles n'ont autant ébranlé sa confiance en lui.

- Comme cette nuit où j'aurais du annoncer le branle-bas contre ces enfoirés plutôt que d'attendre qu'on vienne nous secourir comme de ridicules marchants!

Décidément, Morgan ne peut s'empêcher de se trouver de nouvelles erreurs à chaque seconde, sa culpabilité le pousse à se prendre en victime... lui même se trouve pitoyable à hurler sur ce pauvre Adrian qui ne demandait rien de plus que de le rassurer. Et lorsque le Maître d'équipage reprend la parole, l'immortel se sent bien honteux de s'être ainsi laissé emporter. Il baisse la tête comme un enfant qu'on réprimande et étrangement... un imperceptible sourire étire les lèvres du pirate alors qu'Adrian lui confie qu'il est tout de même rassuré d'apprendre que Thomas est en vie.

- Hmph... oui...  peut être bien que... moi aussi...

Un vrombissement gigantesque se fait entendre et ébranle le bateau qui s'élève doucement au grès des vagues provoquées par la chute d'un boulet de canon tout près de la coque. Morgan est sortit de sa torpeur et sursaute presque quand Adrian lève la voix pour lui demander de se rendre à la barre. Il ne prend même pas le temps de réfléchir au fait que son Maître d'équipage est entrain de lui donner des ordres et acquiesce d'un signe de tête avant de sauter du mat en s'agrippant aux haubans pour retrouver le pont et se dirige en toute hâte vers les escaliers. Il est presque à la roue de navigation quand il remarque qu'Adrian est entrain d'actionner seul le cabestan. L'instant d'après, l'immortel avait saisit un manche et s'était mis à pousser de toutes ses forces à son tour, offrant à son vieil ami, un sourire espiègle et vraisemblablement motivé.

- J'ai jamais été très doué pour obéir aux ordres... désolé!

Oh non, il ne l'est pas le moins du monde, et pousse à la force de ses bras et de ses jambes pour faire tourner le cabestan. A deux, la roue bouge et la chaine de l'ancre s'enroule en remontant. Maintenant qu'Adrian à l'élan nécessaire, le Capitaine peut retourner à la barre et entamer la fuite du Black Sails tandis que le Bloody Mary continue de les canarder sans pour autant parvenir à les atteindre.

- Allé!!! Toutes voiles dehors! C'est l'heure pour le Black Sails de tirer sa révérence!

Morgan envois la roue de navigation de toutes ses force à tribord pour faire faire demi tour au brick. Sa légèreté en comparaison à celle du Bloody Mary est son plus précieux atout, il faut semer les ennemis plutôt que de chercher à les affronter. Par ailleurs, un équipage fidèle ne prendra jamais la mer sans son Capitaine. Avec un peu de chance, Morgan à suffisamment amoché Thomas pour le retarder dans son repère un moment.

- Mettez tout le poids possible à tribords!! Lance l'immortel qui commence à reprendre du poils de la bête devant l'urgence de la situation. Quand nous seront suffisamment parallèle à eux faites feu avec les canons! On doit les ralentir à tout prix!!

Le bateau se penche lourdement sur le côté pendant le demis tour, des caisses et des tonneaux roulent sur le pont attiré par la gravité

- Bobby, aux cannons!! Adrian... il nous faut plus de vitesse! Ad...

Mais le Capitaine s'interrompt dans son cri en se souvenant qu'Adam... n'est pas sur le pont avec eux. L'espace d'une seconde, son regard s'éteint et il crispe ses doigts sur la roue de navigation en se mordant les lèvres. Pourvu que tout ce grabuge n'empêche pas Stephen de travailler correctement... pourvu qu'Adam tienne le coup... s'il devait mourir maintenant... Oh non, non il ne veut pas y penser. Il ne peut pas y penser! Ce n'est pas le moment de perdre pieds, il doit sortir son équipage de ce merdier, aussi peu nombreux soient-ils.

Les coups de canons pleuvent du côté du Bloody Mary, tandis que ceux du Black Sails sont bien plus longs et ne parviennent que rarement à effleurer la coque des ennemis. Le redoutable brick à une allonge bien plus considérable que la leur... d'ailleurs... Un nouveau coup fuse droit sur eux et entame la coque ainsi qu'une partie du bastingage. Morgan se protège le visage des éclats de bois qui volètent autour de lui et quelques morceaux de rambarde viennent se planter dans son bras sans le faire sourciller.

- PLUS DE VITESSE!!! Hurle l'immortel qui continue de maintenir la barre en position.

Bientôt, le Black Sails a complètement fait demi tour et commence à s'éloigner de la côte. Le Bloody Mary n'a toujours pas bougé de son point d'encrage, Thomas n'est sans doute pas encore monté à bord. Il faut en profiter. Mais leur vitesse n'est pas encore optimale et en plissant les yeux, le pirate réalise qu'il reste une voile de rabattue.

- Le Perroquet !! Déferlez le Perroquet!











The Huntmaster


La porte est close. Le silence règne. C'est l'heure. L'heure de prouver qu'il mérite son titre de médecin de bord, l'heure de prouver qu'il peut sauver des vies, même lorsqu'elles se trouvent dans un état aussi critique que celui d'Adam. Et pour y parvenir, Stephen se trouve avoir trois bonnes raison. La première est qu'Adam est son ami, comme la plupart des gars dont il a reconnu le décès et qu'il a cousu dans des sacs avant de les laisser disparaître dans les profondeur de l'océan... il ne veut pas laisser une vie de plus les rejoindre. La deuxième est qu'après la mutinerie, il ne sont plus que cinq à voguer sur le Brick, et Adam fait partit des indispensables, s'il venait à mourir, l'équipage ne tiendrait pas longtemps... et enfin... Si jamais Stephen ne parvient pas à sauver le quartier-maître du Black Sails... Morgan le tuera! Il en est certain.

Oui... définitivement trois bonne raison de tout donner pour sauver Adam, c'est une question... de vie ou de mort, et aussi de conscience.

Le médecin sourit en voyant Adam se précipiter presque sur le goulot de la bouteille de rhum qui lui servira d'anesthésiant, il en fait couler une bonne rasade dans sa gorge en maintenant sa tête pour l'aider et la redépose sur la table d'osculation. Stephen se lance alors dans la première phase d'opération, il nettoie soigneusement toutes les plaies laissées par le bourreau du malheureux, parfois avec douceur, parfois plus vigoureusement pour s'assurer qu'il restera le moins de saletés possible au moment de désinfecter. Certaines parties du corps en lambeau sont bien plus difficile que d'autre à manipuler, et comble de l'inquiétude... il semblerait qu'Adam soit entrain de délirer. Il parle seul et son regard semble dirigé vers quelque chose... ou quelqu'un... que seul lui pourrait voir. Stephen grimace, il espère de tout coeur qu'il ne s'agisse que d'un effet secondaire de la fièvre brulante qui assaille le blessé.

Le corps d'Adam transpire, saigne, suppure, et Setphen doit faire vite s'il ne veut pas avoir à tout recommencer. Son travail de nettoyage est bientôt terminé alors qu'il a enfin fini de nettoyer les multiples plaies dans son dos et le rallonge pour s'occuper de ses yeux. Soulagé de constater qu'Adam réagit encore à ses paroles, il applique méticuleusement la pommade sur les paupière et autour des globes du blessé avant d'appliquer un chiffon trempée dans de l'eau chaude sur les yeux meurtrit. Il va enfin pouvoir passer aux choses sérieuse et soupir profondément de l'effort déjà fourni.

Mais soudainement, Adam se redresse, comme piqué par la foudre et vient se saisir avec force du col de chemise de Stephen... décidément tout le monde a décidé de l'agresser aujourd'hui. Le toubib fixe son patient entrain de le menacer avec de grands yeux ronds, clignant plusieurs fois des paupières alors que certaines plaies se remettent à saigner abondamment.

- Adam ! Calme toi, c'est pas le moment!

Lance Stephen sans vraiment prêter attention aux restes des insultes que le grand blessé profère. Il faut bien reconnaître que le Quatier-maître lui a fait peur. Son coeur bat la chamade et ses mains trembles sur les épaules de son patient alors qu'il s'efforce de l'apaiser en l'empêchant de trop gigoter. Encore un délire? Doit-il se sentir rassuré à l'idée qu'Adam va se battre pour survivre ou bien s'inquiéter à propos du fait qu'une nouvelle crise de ce genre pourrait sans nulle doute avoir raison des derniers éclats de conscience du pirate? Le pauvre s'excuse mais Stephen n'est pas serein pour autant. Il passe une main au niveau du chiffon humide et caresse doucement le front et les cheveux de son patient avant de murmurer entre sévérité et inquiétude.

- Je vais le faire... mais toi tu dois rester calme. Tu entends?!

Nouveau long soupir et Stephen se détourne pour récupérer de quoi désinfecter les plaies. Il repasse un dernier coup d'eau sur les blessures qui se sont remisent à saigner et change de chiffon une nouvelle fois pour l'imbiber d'alcool.

- Une nouvelle gorgée pour la route? Il ne lui laisse pas vraiment le choix et porte la bouteille de rhum aux lèvres d'Adam avant de murmurer presque désolé. Ca va piquer...

Et il passe le torchon trempé d'alcool sur les premières plaies. D'abord les légères taillades qui jonchent son torse, puis la marque plus profonde qui barre sa gorge pour l'heure c'est celle qui a eu le plus de mal à s'arrêter de saigner. Stephen tapote doucement et sourit en constatant qu'il n'aura pas besoin de la recoudre, elle n'est pas trop profonde et se refermera d'elle même. Une fois désinfectée il s'applique immédiatement à la bander pour faire cesser les saignements une bonne fois pour toute. Contrairement à lorsqu'il se contentait de rincer les blessure avec de l'eau, le médecin s'attaque cette fois ci aux lacérations dans son dos et fait une nouvelle fois glisser Adam sur le côtés. Misère... Se retient de lancer Stephen en constatant que les blessures ne s'arrêtent pas de suppurer. Le chiffon vient alors se poser sur chaque entaille, une par une, il ne pourra pas laisser celles-ci se refermer seule, il va falloir recoudre. La personne qui lui a fait ça y a sans doute mit toute sa force. Essayant de caler son patient sur le ventre sans lui faire trop mal, il frotte un peu plus énergiquement sur les plaies, et le moins qu'on puisse dire c'est que l'alcool est heureusement bien plus efficace que l'eau. Il chauffe une aiguille et commence à recoudre les entailles, chacune d'entre elle aura droit à au moins six ou sept points de suture. Il peut enfin bander le dos et le haut du torse en même temps.

- Je vais te soulever, surtout, ne force pas pour m'aider!

Si tôt dis, Stephen saisit Adam sous les aisselles pour le redresser et commencer son bandage. Seul c'est horriblement difficile, mais il parvient tout de même à ses fins et peut rallonger son patient sur le dos, profitant d'un instant de répit pour humidifier à nouveau le torchon qui couvre ses yeux.

- Ca va? Tu tiens le coup? S'inquiète le médecin.

Mais il ne tiendra de toute façon pas vraiment compte de la réponse et continue ses soins sans jamais ralentir. Il commence alors à désinfecter la marque laissée par le fer en forme de justice aveugle et hoche négativement la tête de dépit... quel massacre... quel gâchis d'avoir détruit ce beau tatouage pour le remplacer par une nouvelle marque indélébile bien plus douloureuse à supporter. Il découpe quelques morceaux de bande et recouvre la cicatrice désinfectée avant de... siffler lui même une gorgée de rhum pour se donner du courage et en fait de même avec le patient.

Soudainement un nouveau coup de tonnerre retentit, plus fort, plus brusque si bien qu'il ébranle le navire qui se met à trembler de toute part. Stephen recouvre Adam de son propre corps au cas ou quelque chose viendrai à tomber des étagères, mais plus de peur que de mal, rien ne se passe et le calme revient.

- Quelle galère putain...... Bougez vous un peu là haut! Maugrée le toubib pour lui même.

Quelques chiffons plus tard, les plaies sont finalement presque toutes désinfectée... et heureusement parce que le médecin allait être a court d'alcool. Il va a présent s'attaquer aux parties les plus délicates à savoir, redresser les doigts et les genoux brisés, s'occuper des trous dans les paumes de ses mains et enfin... le fameux majeur gauche arraché que Stephen s'applique à désinfecter à son tour... il préférait le garder pour la fin. De son chiffon, il entoure très soigneusement la plaie pour nettoyer les morceaux de chair en s'appliquant à ne pas toucher l'os qui dépasse, mais même en désinfectant... rien à faire, la blessure reste toujours aussi  alarmante... Stephen grimace en se pinçant les lèvres en envisageant  ce qui reste du doigts sous toutes les coutures... pas le choix, il va falloir aller chercher la machette...









The Huntmaster

Emporté, Adam est emporté, emporté par le rhum, emporté par la fièvre, emporté par la douleur, emporté par la colère, emporté par la folie. Il n'y a qu'à la mort qu'il ne cède pas. Il n'y a qu'à la mort qu'il se redresse pour lui cracher au visage, hurler sur elle, la faire fuir. Il se débat, crie. Mais il a conscience que c'est la peur de la mort qui le pousse à réagir aussi violemment, à se faire aussi vindicatif, à chercher à lui faire peur. Un réflexe, comme un violent sursaut,un coup de main, alors qu'une guêpe entre dans le champ de vision. Il se calme, respire... le piège est là Adam, ne tombe pas dedans... tu vas saper tes dernières forces.

Il se rallonge et hoche mollement la tête sans répondre à Stephen après s'être excusé. Il ne rechigne pas avaler le rhum qui lui descend dans la gorge, lui brûle le gosier et la cervelle. Il sent son esprit se faire plus ténu à chaque gorgée sans savoir si c'est une affaire d'alcool ou de mort. Il s'agrippe pourtant à la conscience pour ne pas s'abandonner complètement, songeant à peine que cela est sans doute contre-productif. Il sent le chiffon passer sur chacune de ses plaies, le tissu, l'alcool, même l'eau le pique. Il sent chaque recoin de son corps le brûler, il grimace mollement à chaque effleurement de sa poitrine, de sa gorge... a-t-il vraiment survécu à tout ça ? Il se prendrait pour une force de la nature s'il ne se sentait pas aussi pitoyable.

Plongé dans le noir, Adam sent Stephen le retourner et approcher quelque chose de chaud de son dos. Il grimace en sentant la pointe de l'aiguille pénétrer sa chair. Elle pénètre son dos à de si nombreuses reprises... il ne devrait plus avoir mal après tout ce rhum, après tout ce qu'il a déjà enduré. Après tout, ne l'a-t-on pas brisé maintes et maintes fois ? Le cuir n'a-t-il pas lacéré son dos ? Le fer n'a-t-il pas marqué son torse ? La lame n'a-t-elle pas transpercé gorge et mains ? Et pourtant cette ridicule aiguille continue de lui faire mal, de mutiler sa chair pour la guérir, une fois, deux fois, trois fois, il perd le compte au bout de seize. À la fin du traitement, il peut sentir sa peau étirée, les deux pans collés l'un contre l'autre... Une centaine de petites brûlures, de petits points de feu, irradient dans son dos... mais il lui faut les endurer. Ça va passer et tout ira mieux. Pas vrai ? N'est-ce pas à ça que sert un médecin ?

Une fois de plus, il ne répond pas à Stephen qui le prévient qu'il va le soulever, il se laisse manipuler jusqu'à sentir les bandages se glisser laborieusement autour de lui, à la fois doux et toujours aussi piquants, rugueux, il essaye de se donner du baume au cœur en se disant que le travail avance... Il a même l'impression que son esprit redevient progressivement clair que sa fièvre tombe. La compresse sur ses yeux est une nouvelle fois humidifiée, rafraîchissant son visage. Il soupire doucement.

- Ça va... j'ai vu pire...Croasse-t-il d'une voix enrouée et tentant de faire preuve d'ironie.

Les plaies sont nettoyées petit à petit, laissant à Adam un sentiment de mieux mais également... de vide, comme s'il lui manquait quelque chose. Non pas la douleur, mais comme s'il avait perdu une partie de son corps. Combien de litres de sang a-t-il perdu ? Combien de livres de chair lui a-t-on arraché ?

Il est interrompu dans ses pensées par les coups de canons qui se multiplient, qui agitent le navire, il sent Stephen se jeter sur lui pour le couvrir de son corps. Quelque part, l'espace d'un instant, la présence rassurante du médecin l'enlaçant presque lui fit du bien.  Adam tord ses lèvres en une moue songeuse alors que Stephen invective ce qui reste de l'équipage au-dessus d'eux. Il réfléchit longuement alors que Stephen désinfecte les dernières plaies superficielles. Il le sent soigner délicatement son doigt mutilé, son chiffon glisser doucement et douloureusement sur la chair à vif, frôler parfois l'os et le faisant grimacer et se tendre un tout petit peu. Il se racle la gorge pour éclaircir sa voix, pourtant molle et lasse alors que son esprit est embrumé par l'alcool dans le peu de sang qu'il lui reste.

- Tu sais Stephen, aussi étonnant que ça puisse paraître... J'ai une conscience assez précise de l'état dans lequel est mon corps. Arrête-moi si je me trompe, mais il n'y a plus que mes mains qui soient sanguinolentes, n'est-ce pas?

Il reste silencieux un moment, se faisant l'inventaire de ses blessures pour vérifier et déglutit difficilement, hésitant sur la suite.

- Je ne sais pas exactement combien on est encore... Mais, à vue de nez, pas beaucoup. Alors...

Il essaye de se faire léger, sans grand succès.

- Une fois que t'auras soigné mes paumes et... fait ce que tu as à faire pour mon doigt. Si tu juges qu'ils ont plus besoin de toi là-haut, d'une façon ou d'une autre... Dis à Morgan que c'est un ordre de ton quartier-maître et que si je veux survivre à cette nuit il vaudrait mieux que le bateau ne coule pas !

Il tente de rire sans se faire mal, doucement, d'une voix chevrotante.

- Ce qui est cassé peut encore attendre un peu... Et puis avec les jambes à l'état de maquette, je risque de m'enfuir pour faire des folies!

Il soupire nerveusement et sent étrangement ses yeux le piquer, des larmes couler le long de ses joues alors qu'un petit sourire, un petit rire angoissé, déforme son visage.

- Allez, fais vite ! Ça a pas de panache un demi-doigt d'honneur !

Lui non plus, n'a guère de panache, alors qu'il commence sa phrase avec un entrain mal joué jusqu'à ce que sa voix ne se torde ridiculement en une note aiguë pitoyable, jusqu'à mourir.













The Huntmaster

Comme escompté, Morgan est à l'état de boule de nerfs, de sentiments, il n'est que réactions excessives sur réactions excessives, il hurle, il s'en veut, il en veut au monde entier, il attend des pleurs qui ne viendront pas. Le maître d'équipage hausse vaguement les sourcils, peu convaincu que sonner le branle-bas de combat aurait été une solution plus avisée que de gagner du temps... ils auraient eu besoin d'être sauvés tout de même et leur dramatique sauveur ne serait sans doute jamais arrivé à temps. Mais inutile d'en parler, Morgan est déjà en train de se descendre plus bas que terre encore et encore. Adrian a souvent pensé que celui qui devint son capitaine gagnerait à se remettre plus souvent en questions. Mais celles-ci, en si grande quantité, il s'en passerait bien à l'heure actuelle. Elles ne sont pas bonnes, elles ne sont qu'apitoiement et tristesse, surplus d'émotions dans une situation qui nécessite sang-froid et efficacité. Il n'y a que peu de personnes qui ont déjà mis Morgan dans cet état, ou un état semblable... Adam a vraiment une influence particulière sur le capitaine maudit.

- Arrête de te lamenter. Surtout pour raconter des conneries pareilles. Comme si Adam écoutait tes ordres... il a toujours été ton ami avant d'être un membre de ton équipage, encore moins ton quartier-maître. Il monterait une mutinerie pour ton bien. Il est bien plus doué que toi pour jouer au con, il aurait très bien pu te dire avec son ton guindé « Eh bien mon cher, je vous rends mon sabre et mon mousquet, ce fut un plaisir de piller et tuer avec vous ! » pour s'asseoir à la table juste à côté et espionner ta conversation de façon encore plus provocante. C'était pas une histoire de fierté stupide que de vouloir le garder avec toi. Ce qui est une histoire de fierté stupide c'est de te mettre dans tous tes états parce que les événements ne sont pas tous sous ton contrôle.

Adrian ne peut réprimer un sourire et hoche la tête alors que Morgan avoue à demi-mots être heureux de savoir Thomas en vie. En dépit de tout ce qu'il a fait. Il prend une dernière inspiration.

- Je devrais te dire que tu réagis de façon aussi exagérée parce que tu es l'ami d'Adam, que tu t'en veux et que c'est bien normal. Je devrais te dire que tu devrais mettre ça de côté pour ce soir et sauver nos peaux en agissant comme un capitaine. Mais laisse-moi te dire ce que j'en pense, ce soir nous ne sommes plus l'équipage du Black Sails, nous sommes cinq amis, cinq frères, cinq bâtards qui essayent de prendre le large sur une épave pour sauver leurs vies. Alors du nerf !

Et du nerf, il va en falloir alors que des boulets de canon viennent s'échouer tout près d'eux. Ils ont beau n'être que trois sur le pont, le navire est en effervescence, les pirates s'activent comme le feraient normalement dix hommes. Assez insensément, Adrian commence à tourner le cabestan seul alors que Bobby s'est enfoncé dans les profondeurs de la cale pour rejoindre les sabords. Morgan vient vite à la rescousse et le grand russe ne peut s'empêcher de lui répondre par un sourire reconnaissant en poussant plus fort et finalement réussir à se lancer pour remonter l'ancre. À peine cette tâche harassante arrivée à son terme, il doit courir sur tout le bateau pour déferler toutes les voiles possibles et imaginables. Le bateau tangue à répétions, tantôt par les remous causés par les boulets qui s'écrasent si près d'eux, tantôt par eux-même qui parviennent à endommager le Black Sails plus qu'il ne l'est déjà. Il en craint même que le bateau ne chavire pendant la manœuvre de demi-tour. Les boulets écorchent un peu plus le brick à chaque fois, le Black Sails peine à faire mouche... et s'il le fait c'est déjà un exploit de la part de Bobby. Adrian lui-même n'a jamais été artilleur, reste espérer que le mousse soit meilleur que lui. De ce qu'il en sait, pour gagner de l'allonge il faudrait monter les canons au pont supérieur... mais il n'en ont pas le temps ni la force.

Et voilà qu'au cri de Morgan, il lève les tête pour constater qu'il a effectivement omis de déferler l'un des deux perroquets. Jurant, il s'élance en de grandes enjambées jusqu'au mât avant et escalade les haubans aussi vite que ses bras et ses jambes le lui permettent. Chaque coup de canon, tant de la part du Black Sails que du Bloody Mary, manque de le faire lâcher prise, faisant se balancer l'espace d'un instant ses jambes dans le vide, parfois il n'est plus attaché que par une main. Quelques rares fois, un boulet passe à sa hauteur et son cœur s'arrête de battre une demi-seconde. Il atteint finalement les huniers et, tendant les bras, il tire sur la corde qui retient le perroquet pour le défaire et le voir gonfler pour pousser le Black Sails un peu plus vite. Soulagé, il respire un grand coup et 'accorde une pause de quelques secondes, regardant le brick lourdement armé qui ne part toujours pas à leur poursuite. Ses yeux se posent néanmoins sur un boulet de canon qui file à toute allure droit vers eux et vient violemment percuter la coque au niveau des sabords avec bruits et fracas, avec le craquement du bois qui cède et du métal qui explose au contact de son pair. Un canon vient de se prendre un boulet en pleine face et surtout...

- Bobby ! Hurle le maître d'équipage, saisissant un filin et se laissant glisser tout son long, se brûlant les mains.

Il court jusqu'à l'escalier le plus proche, en dévales marches quatre par quatre et arrive jusqu'à la cale percée de plusieurs trous, des morceaux de bois jonchent le sol en dépit des hamacs tendus aux murs, un canon éclaté est répandu par terre et... Bobby est derrière une des pièces d'artilleries quelques grosses échardes plantés sur son flanc droit, une coulée de sang dégoulinant du même côté de son crâne, mais relativement indemne, souriant à demi en voyant Adrian arriver avec son air inquiet.

- T'en fais pas, je sais que c'est pas l'heure de gerber...

Avec un soupir de soulagement, Adrian lui demande de l'attendre encore une minute et remonte sur le pont principal.

- Morgan ! Dis-moi qu'ils sont pas partis et qu'on est bientôt hors de portée !











The Huntmaster


Adrian est tout de même quelqu'un de formidable. Alors que le Capitaine au bord de la crise de nerf continue à lui hurler dessus, à cracher sa rage, comme s'il n'était qu'un vulgaire déversoir à colère, le maître d'équipage reste calme et propre sur lui. Il ne lève pas la voix, ne s'énerve pas en retour contre son supérieur et avant tout ami, expose les faits comme le ferait un conseiller ou un parent cherchant à remettre son enfant sur le droit chemin et... et Davy sait qu'il a raison. Adam a toujours été une forte tête, n'a que rarement ou jamais obéit proprement aux ordres de Morgan,  dès qu'il avait une occasion de faire comme bon lui semble, dès qu'être aux côtés de son meilleur ami et Capitaine était un prétexte suffisant pour lui permettre de désobéir... le cadet ne se faisait pas prier.

Un sourire triste barre le visage de l'immortel alors qu'Adrian imite le plus jeune et c'est presque sa voix à lui qu'il a l'impression d'entendre... oui... oui les choses se seraient surement passées comme ça. Alors  quand le vétéran s'efforce de redonner du courage à Morgan en lui faisant comprendre qu'ils vont avoir besoin les uns des autres, pas comme un équipage, mais comme une famille, le Capitaine maudit acquiesce d'un geste vif de la tête et se dirige vers la barre comme le lui a demandé son camarade. Idée qu'il abandonne le temps d'apporter son aide à Adrian afin de remonter l'ancre.

La bataille pour la survie peut enfin commencer pour de bon! Fermement agrippé à la roue de navigation, Morgan prépare le demi-tour du Black Sails et le navire chancelant prend le vent et les vague avec tant de force que le bastingage est presque parallèle au niveau de l'eau. Plusieurs, fois, le bâtiment manque de heurter un récif ou de chavirer mais la coque tien bon et fini par se redresser, non sans quelques dégâts matériel. Les coups de canons fusent de chaque côté de la bataille et si le Bloody Mary ne fait pas mouche à chaque fois c'est certainement parce que tout l'équipage n'est pas encore réunis à bord et que le Black Sails est en mouvement contrairement à son adversaire.  En revanche, les coups d'artillerie tirés par Bobby sont loin d'atteindre régulièrement leur cible. Parfois, un boulet arrive à destination, mais la coque du brick ennemi est si épaisse qu'il est pratiquement impossible de la percer.

Le navire s'éloigne du port mais il est encore loin de pouvoir échapper aux tirs qui viennent s'éclater violemment contre l'épave flottante. Le bastingage est complètement brisé par endroit et Morgan se retrouve agressé non pas par les boulet de métal mais par les débit de son propre bâtiment qui lui foncent dessus en éclatant. Mais si le Capitaine n'a pas trop de soucis à se faire concernant d'éventuels projectiles, ce n'est pas le cas d'Adrian qui est en train de se précipiter vers le perroquet encore abattu. Le forban à le regard bien plus souvent braqué sur son maître d'équipage que sur le lointain océan et plusieurs fois, il sursaute en voyant un boulet raser sa tête de près.

- ADRIAN !!! Cris le Capitaine pour qu'on l'entende malgré le tonnerre des coups de canon. T'as pas intérêt à crever, sinon je ferai en sorte que ton âme ne repose jamais en paix!! Tu m'entends?!

Une menace en l'air bien entendu, mais Morgan est pourtant plus que sérieux en s'adressant à son ami, il ne veut pas risquer de le voir mourir aujourd'hui alors qu'il a plus que jamais besoin de sa présence et de son soutien.

Et pourtant, il faut croire qu'un malheur n'arrive jamais seul car à peine le perroquet est enfin déferlé et que le navire gagne une accélération non négligeable, un nouveau boulet de canon vient cette fois ci percuter la coque de plein fouet, faisant trembler le navire dans un affreux grondement et une terrible explosion. Le tintement du métal qui s'entrechoque fait rapidement comprendre aux gradés que le Bloody Mary a réussi à pulvériser un canon et la même pensée traverse alors Adrian et Morgan

- Bobby!

Adrian est le premier à se précipiter à la calle et Morgan se doit de rester sur le pont supérieur afin de continuer à manœuvrer le Black Sails mais chaque seconde que passe le maître d'équipage hors de son regard lui fait croire à un tragique accident.

- Bordel de merde... c'est vraiment pas le moment....

Les boulets continuent de fuser, il faut croire que ce formidable coup à redonner de l'assurance aux pirates du Bloody Mary et l'épave flottante est de plus en plus endommagée. Morgan enrage de ne rien pouvoir faire de plus, il se crispe sur la roue de navigation et échappe un enchainement de jurons paniqués jusqu'à voir Adrian ressortir finalement de la calle.

- Tout vas bien?!

Mais Adrian à visiblement autre chose en tête et cette remarque ne rassure pas vraiment le Capitaine maudit qui risque un coup d'œil derrière lui. Leurs ennemis, sont toujours amarrés et n'ont pas bougé. Contrairement à eux qui commencent à prendre le large.

- Ils ont toujours pas levé l'ancre! On est pas encore hors de portée mais si on continue à  avancer à cette vitesse ça devrait bientôt être le cas! Il reprend avec un ton un peu plus sombre. Si on commence pas à couler avant...

Alors pour continuer à améliorer leur chance de s'en sortir Morgan réfléchit à mille et une possibilité et gagner du temps.

- Assurez-vous que l'eau n'envahisse pas la cale! Je sais pas combien de temps on va devoir naviguer avant de pouvoir réparer mais ça risque d'être long!

Utiliser les canons commence à devenir vaguement inutile à cette distance, déjà que le Bloody Mary peine maintenant à les atteindre, il est évident que leur portée est insuffisante pour faire mouche.

- Laissez tomber les canons! Colmatez les brèches et balancer tout ce qui nous sert à rien pour gagner de la vitesse et alléger la cale!

Un nouveau coup de canon fuse et percute violemment la poupe du Black Sails qui s'ébranle une nouvelle fois, faisant perdre l'équilibre à Morgan qui se retrouve propulsé vers l'avant et manque de dégringoler les escaliers vers le pont principal. Ses vêtements déjà bien déchirés ne sont plus que des lambeau de tissus pendouillant le long de ses bras et de son torse couvert d'échardes, de sciure et de morceau de bois. Le sang d'Adam à partiellement recouvert sa peau et ce qui reste de ses frusques... dans cet état, on pourrait presque le prendre pour le zombi qu'il est lorsque la pleine lune le touche. Et pourtant dans le ciel, l'aube est déjà bien avancée, mais le ciel gris et couvert de nuages épais, annonce une journée pluvieuse...











The Huntmaster


Stephen est profondément peiné par le triste état dans lequel se trouve Adam, tant physiquement que mentalement, tant à cause de l'anémie qui l'affaiblie, tu traumatisme qu'il a subi que par l'alcool qu'il lui fait boire à répétition, encore et encore pour jouer les anesthésiant et espérer vaincre sa douleur. Mais au vu des grimaces du quartier-maître, lorsqu'il nettoie ou désinfecte une plaie ou encore lorsqu'il referme les blessure à coup d'aiguille chauffée à blanc, il remarque bien qu'a part embrumer son esprit et l'assommer sommairement, l'alcool n'a aucun effet contre la souffrance du malheureux blessé.

Et pourtant le médecin ne peut pas se permettre d'en tenir compte, de ralentir la cadence ou de se faire plus doux et délicat, il serait beaucoup moins efficace et les chance de sauver Adam continueraient de chuter encore et encore. Régulièrement Stephen prend le pouls de son patient, vérifie que celui-ci ne ralentit ou n'accélère pas trop, il lui parle souvent pour s'assurer que le Second du Black Sails est toujours avec lui, qu'il l'entend, comprend ce qu'il dit et est capable de lui répondre. Oh il serait sans doute plus simple qu'il finisse par tomber dans l'inconscience, mais dans cet état, risquer l'évanouissement c'est aussi risquer la mort et Stephen ne peut pas se le permettre.

Après avoir terminé de désinfecter et refermer les plaies les plus simples, le médecin s'attaque à la partie la plus abimé du corps d'Adam. Ses mains. Elles sont dans un état absolument déplorable et Stephen a beau avoir observé ces doigts tordus sous toutes les coutures, il n'arrive pas à s'empêcher de grimacer à chaque fois qu'il les regarde un peu trop longtemps. Sans parler de cet affreux majeur gauche infecté et donc les tissus de peau morte semblent déjà commencer à se propager. Mauvais signe, très mauvais signe... il s'occupera des paumes plus tard, il ne peut pas se permettre de repousser plus longtemps l'amputation de ce qui reste du doigts arraché. Les soudaines paroles du blessé lui font baisser les yeux et échapper un soupir de lassitude alors qu'il sent son cœur se serrer.

- T'es dans un sale état Adam, c'est vrai... Mais je ne vais pas t'abandonner! Je vais tout faire pour que tu te remette et que tu puisses à nouveau faire partie intégrante de cet équipage!

Enfin... de ces miettes d'équipage plutôt... mais une seule mauvaise nouvelle à la fois, et puis Adam semble avoir compris  qu'ils ne sont plus beaucoup sur le Black Sails. Par ailleurs, les nouvelles demande du blessé font froncer les sourcils au toubib qui affiche une moue contrarié que son patient ne pourra de toute façon pas voir. Les rires, les sourire forcés ne font que renforcer cette peine et cette contrariété et Stephen ferme un instant les paupières avant de les rouvrir après avoir inspiré profondément.

- Et quel genre de médecin je ferai si j'abandonnais mon patient sans même avoir terminé les soins nécessaire à sa survie! T'es mon supérieur Adam, mais dans cette infirmerie c'est moi qui commande et je n'ai pas l'intention de partir avant d'être sûr et certain que tes jours ne sont plus en danger.

Stephen se sent particulièrement mal à l'aise devant les larmes de cet homme si fort et si fier, habituellement débordant de prestance, de bonne humeur et de répondant. Nu, allongé sur cette t'able d'opération, Adam n'est plus que l'ombre de lui-même, il est faible, vulnérable et se cache derrière son arme la plus puissante, son don de palabre qui s'étiole doucement avec l'alcool et la menace de l'ombre.

- Je suis désolé Adam... Répond le médecin à voix basse avant de tendre la bouteille de rhum à la bouche du blessé. Vas-y bois... tu risques d'avoir mal...

Et le toubib ravale sa salive en se détournant le temps de récupérer le matériel nécessaire à l'amputation des restes du majeur mutilé. Il revient auprès du quartier maître et approche un petit rondin de bois de ses lèvres.

- Ouvre la bouche et serre fort ce truc entre tes dents... c'est pour éviter que tu te morde la langue...

Puis il noue un bandeau de cuir autour de son poignet la serre le plus fort possible pour faire un garrot. Il prend la main d'Adam et l'étale à plat sur la table d'opération, c'est difficile de savoir où et comment tenir sachant que n'importe où il place ses doigts il y a une blessure. Enfin, c'est le moment de commencer. Stephen prend une grande inspiration et tien sa machette à la verticale, la lame ronde et tranchante pointant vers le bas, la déposant tout doucement contre la base du majeur à sectionner. Il ravale sa salive... jamais une amputation aussi simple ne lui a fait aussi peur.

- Je vais y aller... je te promet que ce sera rapide.

Et il ne lui laisse pas le temps de se préparer et commence à appuyer avec force la lame contre ce qui reste du majeur. L'os est toujours solide malgré la blessure et il lui faut de la force pour le scier. Stephen serre les dents et fit abstraction des bruits, alentours, du bateau qui tenue et s'ébranle, il est droit comme un "i" sa main ferme, s'il dérape ne serait-ce que d'un millimètre il faudra amputer plus loin et il ne peut pas se le permettre. La chair saigne, mais avec moins de pression à cause du garrot, d'ailleurs la main du quartier-maître a perdu en couleur et il faut faire vite s'il ne veut pas que son patient perde l'usage de sa main. L'os commence à craquer, à se scinder, Stephen sent la machette s'enfoncer un peu plus loin à chaque seconde, ses gestes alors qu'il appuie sur le doigt sont précis et calculés et enfin, le bruit distinctif de la lame qui cogne contre le bois se fait entendre et Stephen pousse un long soupir de soulagement.

- C'est fini...

Il retire le garrot, nettoie la plaie, la désinfecte, la sèche et commence immédiatement à la recoudre. Il n'a besoin que de quelques points pour refermer la plaie qui parait tout de suite bien plus propre et correctement soignée. Il bandera la main entièrement plus tard, pour l'heure... il s'autorise enfin une légère pause, à lui... mais surtout à Adam.

- Comment tu te sens?









The Huntmaster

Le quartier-maître hoche doucement la tête, pesamment, lentement, alors que le médecin lui promet de le soigner, de lui permettre d’un jour à nouveau marcher fièrement aux côtés de tous les autres pirates du Black Sails… Il ne veut pas mourir, il ne doit pas mourir, il doit tenir, vivre, il doit pouvoir redevenir l’homme qu’il était avant cette nuit. Et Stephen l’a compris, Stephen va le sauver, il ne veut pas le laisser perdre espoir et vitalité… Il soupire longuement. Il écoute toujours son camarade en train de lui dire qu’il ne se permettra jamais de le laisser encore mourant sur cette table d’opération.

- Je te dis pas de me laisser crever, t’en fais pas ! Il ricane avec une voix étouffée. Et quel genre de médecin tu serais… quelque part tu devrais pas préférer d’en sauver plusieurs en me soignant pas entièrement tout de suite que de les laisser claquer en faisant les finitions ?

Son petit rire se fait de plus en plus ténu.

Il boit sans broncher, perdant encore un peu le sens de sa propre réalité, de sa propre douleur. L’ombre se rapproche, l’entoure, mais reste encore éloignée, repoussée par le médecin qui lui parle, s’affaire sur lui,  le maintient éveillé. Il sait qu’il va avoir mal, on lui répète, il se le répète, il l’a toujours pensé. Il a déjà mal, il a déjà peur. Peut-il l’avoir plus ? Peut-il avoir mal à cause de ce membre mort… ? Sans doute, si Stephen le dit. Il entrouvre légèrement la bouche et serre les dents autour du rondin de bois. Il hoche fébrilement la tête avec un sourire déformé, pour encourager le docteur qui lui entrave le poignet d’un garrot de cuir. Il entend ses doigts craquer doucement le temps que Stephen les mette à la bonne place pour opérer, ignorant la douleur brûlante et diffuse qui se répand dans sa main, main qu’il commence à ne plus sentir alors qu'elle n'est plus assez pourvue en sang. Il la sent s'engourdir, gonfler, être parcourue de fourmis, et il ne peut bientôt plus que faiblement en bouger les doigts restants. Il observe Stephen sortir une lame arrondie et la placer juste au-dessus de son doigt. Il ne devrait pas, il en a vu de pires, il a subi pire par des outils bien plus effrayants, et pourtant il ne peut s'empêcher d'avoir peur. Peut-on vraiment consentir à se faire ôter un membre ? Il ne répond pas à Stephen, il ne lui en laisse de toute façon pas le temps.

Le tranchant vient s'écraser contre son doigt, juste après la partie putréfiée, et le quartier-maître se tend d'un coup. Son cri s'étouffe dans sa gorge, il s'étouffe avec sa salive et se met enfin à hurler. Instinctivement, son corps cherche à se débattre. Une chance pour le médecin qu'il ait les jambes cassées. Il se contente de battre des hanches, hochant négativement avec  elles, il passe son avant-bras droit sous la table pour s'y cramponner en pliant le coude, rabattant brusquement la tête en arrière à s'en faire mal. Son bras gauche, lui, est tétanisé par la douleur qui envoie d'intolérables signaux au cerveau d'Adam qui se met à écumer aux coins des lèvres.Il convulse, tressaute, grimace. En baissant l’œil à l'en faire sortir de son orbite, il peut observer l'arme qui rentre dans sa chair, dans son os, il voit le petit morceau blanc se fissurer, se plier, il le voit s'effriter, se tordre comme une branche sur laquelle on exercerait une pression et quelques échardes osseuses volent dans la pièce, comme un vase brisé, alors que la lame traverse sa main et se plante dans le sol en un bruit sourd et sec.

Le Second a la tête qui tourne, des bouffées de chaleurs et des sueurs froides. Le rondin de bois s'échappe de ses lèvres et il prend de profondes inspirations aiguës, expire lourdement alors que tous ses muscles lui font mal, qu'une brûlure horrible se diffuse dans sa main dans laquelle le sang va tout doucement revenir. Il est pris d'un haut-le-cœur et se penche sur le côté pour vomir à nouveau. Du sang sans doute. Les yeux grands ouverts, Adam contemple sa main soulagée des restes de son majeur gauche, lesquels sont bêtement posés sur la table, à côté de lui. C'est avec un détachement curieux, une absence dans le regard, qu'il voit Stephen le désinfecter une nouvelle fois et le recoudre comme si son doigt n'avait jamais été là. Il tourne la tête vers lui quand il lui demande comment il se sent.

- Mieux que jamais...

Et il tourne de l’œil, s'écroulant lourdement.













The Huntmaster

Les muscles bandés, sans se permettre le moindre repos, la moindre détente, le géant du nord grimpe les échelons de filin les uns après les autres, gravissant le mât pour atteindre cette maudite voile demeurée repliée. Son escalade est ponctuée de multiples frayeurs alors que les boulets de canons fusent autour de lui, ne le touchant heureusement pas mais filant si vite... Le sifflement terrible passant à côté de ses oreilles, au-dessus de sa tête, sous ses pieds, près de ses bras... Il ne peut s'empêcher de sursauter à chaque fois, fermer les yeux, serrer les dents, crisper ses mains sur l'échelle. Parfois, le projectile de métal brûlant passe si près de lui qu'il manque d'être entraîné dans son élan, tanguant un moment dans le vide avant d'à nouveau s'ancrer fermement sur les mailles qui lui permettent de grimper. Le cri de Morgan lui arrive sourd, étouffé, bien qu'il en discerne le sens. Il ne peut se retourner vers lui, tout en sueur et grimaçant qu'il est, concentré dans son ascension, mais se permet d'hurler pour se défouler, rester confiant.

- Si je clamse maintenant c'est que j'aurais mérité de me reposer un peu ! Mais t'en fais pas j'ai pas prévu de crever aussi bêtement !

Et bientôt, le maître d'équipage atteint le sommet et peut défaire l'entrave qui empêchait le perroquet de se déplier. Il se donne une seconde pour respirer, s'essuyer le front, calmer son coeur et laisser son visage reprendre une teinte moins rouge violacé. Les boulets ne tirent plus à cette hauteur... de toute façon il n'y a guère d'intérêt à le faire, il se trouve relativement en sûreté. Malheureusement, ils visent une cible bien plus intéressante et tout aussi dangereuse. Pas de repos pour Adrian qui hurle le nom du mousse en même temps que le capitaine et s'élance à son secours.

Descendant plus vite que jamais, sans précaution aucune, le géant se réceptionne bruyamment sur le plancher et, en grandes enjambées, jusqu’à passer les marches quatre par quatre, il atteint la cale où il trouve Bobby miraculeusement à peu près indemne. Ça doit faire mal quand même, mais ça aurait pu être pire. Le maître d’équipage remonte en vitesse pour savoir où en est le Bloody Mary sans prendre le temps de rassurer le capitaine. Ils ont autre chose à faire là tout de suite. Visiblement, le brick ennemi est toujours au port. Une chance. Morgan ne tarde pas à ordonner l’abandon de la canonnade et Adrian s’élance à nouveau dans la cale sans demander son reste.

- Allez mon gars ! On balance tout ce qui sert à rien et on essaye de pas couler !

Bientôt, les sabords vomissent du bric à brac en tout genre, armes cassées, fournitures diverses, effets personnels de leurs vieux compagnons qui vont rejoindre leurs propriétaires dans les abysses. La cale semble bien vide et abandonnée, désormais… mais pas le temps de se lamenter. Le vide est bien vite remplacé par l’eau et Bobby ne tarde pas à écoper alors qu’Adrian s’arme de planches, de clous et d’un marteau pour colmater les brèches. Quelques fois, un boulet de canon vient s’éclater dans la coque, faisant se protéger Bobby et Adrian derrière leurs mains pour éviter les échardes géantes. Ils ont de la chance d’éviter le pire, en dépit de quelques blessures, mais un torrent d’eau ne manque pas à chaque fois de venir remplir la soute. Bientôt, Bobby et lui attrapent une table et en brisent les pieds pour la plaquer de toutes leurs forces contre le torrent impétueux qui s’écoule de la brèche. Hurlant et résistant avec autant de vigueur que possible, l’un d’eux tient un clou d’une main tremblante, l’autre le marteau, ils peinent à enfoncer les clous, s’écrasent parfois les doigts, manquent de tomber, chancellent tant sous la pression que le bateau qui tangue sous les coups de canons.

Ils  enfoncent le dernier clou, s’appuyant encore contre le panneau de bois, et lorsque les coups de canons semblent cesser, ils se laissent tous les deux choir, adossés à la paroi de bois, épaule contre épaule, exténués, les yeux vides, la respiration lourde, l’eau s’écoulant en quelques filets épais de la brèche mal colmatée sur leurs visages.











The Huntmaster

Un mal de tête atroce, sans doute si semblable à celui que l'on a après s'être fait éclater une bouteille sur le sommet du crâne. Une douleur en rien comparable au poids de la culpabilité pesant sur ses épaules et celui des questions nouvelles et sans réponses venues replacer les précédentes. Ce n'est pas un pardon, ce ne sont pas des excuses, ce ne sont pas des remords, ce n'est pas de la pitié. Pourquoi est-il encore en vie ? Pourquoi l'a-t-il épargné ? Comment peut-il supporter de le savoir en vie après tout ce qu'il a fait ? Comment a-t-il pu envisager de ne pas lui prendre la vie ? Pourquoi ? Comment ? Comment ? Pourquoi ? Comment ? Pourquoi ?!

À son réveil, le capitaine du Bloody Mary avait trouvé son repaire en ébullition. Il avait été déplacé dans une chambre mais n'était pas assez sonné pour croire qu'il avait rêvé. Visiblement, il n'avait pas été inconscient trop longtemps. Son bras-droit était parti avec le bateau et des hommes il y a un moment. Se redressant, il avait attrapé son manteau et s'était élancé dans la sylve. Il ne courait pas mais il avait une démarche rapide et déterminée, connaissant les chemins par cœur.

Arrivé en ville, il déambule entre les ruelles jusqu'à atteindre le port dans lequel résonnaient cris et coups de canons. Si cette île n'était pas vérolée, pourrie jusqu'à l'os, une théorique milice ou autre troupe de garde aurait pris d'assaut les lieux pour arrêter tous les pirates des alentours. Le Bloody Mary est amarré, sans doute que tout le monde l'attend, que personne ne partira sans lui. Enfin, personne...

Son regard se pose sur l'horizon vers lequel fuit le Black Sails. Pour la deuxième fois, presque au même endroit, Thomas observe, impuissant, Adrian et Morgan partir sans lui. Il regarde pour la seconde fois le Black Sails prendre le large, devenir un point minuscule au loin et disparaître de son champ de vision. Il n'a pas besoin de longue-vue pour voir Morgan à la roue de navigation, sans doute en train de lui tourner le dos et non pas de regarder dans sa direction.

Il tourne les yeux vers son bateau et aperçoit son Second au bastingage, regardant vers lui et ouvrant les bras pour traduire son impuissance à rattraper ces types. Thomas bat l'air de sa main pour lui signifier de laisser tomber et de faire demi-tour. Lui-même ne tarde pas à faire volte-face pour se perdre dans la forêt, résolu à ne pas partir à la poursuite du Black Sails, à ne pas rechercher Morgan pour se venger ou s'excuser.

Et si d'aventure ils devaient se croiser à nouveau... advienne que pourra.



FIN DU CHAPITRE
À suivre dans : "Never Walk Alone"


(Chapitre 2) The Huntmaster
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